Les quatre départements lorrains ont dépassé le seuil des 9 000 dossiers de surendettement en 2014. Reportage au plus près des personnes qui franchissent le seuil de Crésus, association spécialisée dans le soutien aux surendettés, dont le constat est clair : l’endettement est désormais plus une question de survie ou d’accident de la vie qu’un problème de surconsommation.
Pôle des Lauriers à Borny, en face de la BAM, la nouvelle salle de spectacles tendance du quartier et de l’agglomération messine. Natalya (1), la quarantaine, pousse la porte de la permanence de l’association Crésus (Chambre régionale du surendettement social). Petite, chemisier bleu électrique, foulard à motifs autour de la tête, la réfugiée politique tchétchène devenue française «n’en peut plus».
Un mari adulte handicapé, deux enfants et des dettes. Elle-même est depuis deux ans en maladie pour des «problèmes d’épaule». «Pour travailler, j’avais besoin d’une voiture, donc j’ai fait un prêt», détaille-t-elle à Pascal Fanara, président de Crésus, qui commence à remplir sa demande à la banque de France (BDF). Il tique rapidement sur ce crédit assez élevé, contracté il y a quelques mois. «Normalement, vous n’auriez pas dû le faire», s’inquiète-t-il, anticipant la réaction de la BDF.
Natalya, elle, jongle entre « honte » et envie de remettre de l’ordre dans sa situation. « Je suis dans la merde, vous savez. Sinon, je ne serais pas venue ici.» Page après page, le bénévole remplit le dossier : charges, revenus, crédits en cours, loyers impayés. Remonter la pente est une question de survie pour Natalya et sa famille.
«Un niveau élevé de surendettement»
En 2014, l’association Crésus (16 permanences, 42 bénévoles) a établi 1 326 dossiers comme le sien en Moselle. Un peu moins de 10 % de plus qu’en 2013. La Lorraine, elle, s’ancre «à un niveau élevé de surendettement», comme le résume Serge Deloye, l’adjoint au directeur régional de la Banque de France à Metz.
Après 2009 et 2011, les quatre départements ont dépassé, en 2014, le seuil des 9 000 dossiers et les grands indicateurs restent plutôt dans le rouge ces derniers mois, même si, depuis janvier, le nombre de procédures est en recul en Lorraine comme en France. «Quand on voit France Transfo (90 postes supprimés), comme hier l’entreprise Depalor et leurs charrettes d’emplois en moins, on en sentira les effets dans quelques mois, quand les gens auront épuisé leurs ressources», analyse Pascal Fanara, qui poursuit la constitution du dossier de Natalya.
La dame, elle, se raconte au fur et à mesure que les cases du formulaire se remplissent : locataire, deux garçons « qui se débrouillent bien à l’école », l’allocation du mari, qui fut carreleur à Grozny et puis c’est tout. «Vous n’avez pas d’autre patrimoine? Un appartement, des terrains, de l’épargne?», interroge mécaniquement le bénévole.
En face, Natalya réagit : «Oh, mais je ne serais pas ici! Je déteste demander de l’aide.» Elle semble abattue face aux paperasseries auxquelles elle doit se résoudre. Pascal Fanara s’interroge encore sur la valeur réelle de la vieille Opel Astra acquise en septembre dernier auprès d’un particulier de la banlieue nancéienne. «Très très surestimé, le prix! Deux ou trois fois sa valeur!», tranche le bénévole. «Moi, je savais pas. Elle est économe, elle roule à l’essence», essaie-t-elle.
Dans la salle voisine, Annick Goury tient la seconde permanence du jour. Dans un coin, une cafetière fume. Un cake maison a été préparé pour la petite collation du milieu de matinée. Raoul (1), 56 ans, – en accident du travail avec un enfant à charge et une épouse qui ne travaille pas – se pose dix mille questions sur son contrat de travail, son reclassement à venir. Son dossier de surendettement est déjà constitué depuis longtemps.
« Pas la moindre surconsommation, pourtant ils sont étranglés »
«Nous sommes là aussi pour rassurer les gens qui viennent nous voir. Mais cela déborde souvent largement les problèmes financiers», insiste Annick, vice-présidente de Crésus, qui intervient également régulièrement auprès des jeunes dans les collèges et lycées pour parler du «b.a.-ba du budget». Raoul parle et parle encore. S’explique, s’interroge, expose ses doutes. «J’ai confiance en les bénévoles. Je fais des efforts pour ne pas être au-delà de 500 euros dans le rouge, mais c’est dur. J’ai pas le moindre patrimoine. Tous ces problèmes, je ne les partage qu’ici. J’en parle pas à la maison», avoue Raoul.
En aparté, Annick évoque le cas de ce couple dont elle s’occupe : « Bons salaires, deux jobs, trois enfants », piégé par « des travaux imprévus sur la maison » qu’ils venaient d’acquérir et un crédit à 18 %. «Ils veulent garder la maison, c’est ce qu’on a conseillé à la Banque de France dans leur cas. Ils vivent sur leur seul découvert bancaire. Les situations deviennent parfois très complexes. Il n’y a pas la moindre surconsommation dans leur cas. Et pourtant, ils sont étranglés.»
Ces dernières années, Crésus le constate : les surendettés sont de moins en moins victimes d’achats faciles et immédiats et de plus en plus d’accidents de la vie.
Alain Morvan (Le Républicain lorrain)
(1) Les identités ont été modifiées