Deux séismes de magnitude 3,5 et 2,8 liés au développement d’un projet de centrale géothermique ont réveillé vendredi matin les habitants de l’agglomération de Strasbourg, entraînant l’arrêt progressif des activités de la centrale par l’exploitant et des demandes d’abandon « définitif » du projet par des élus.
Le Réseau national de surveillance sismique (Rénass) a classé ces deux tremblements de terre comme « induits », c’est-à-dire provoqués par l’activité humaine. L’épicentre du premier séisme se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Strasbourg, près de la centrale géothermique de l’entreprise Fonroche pas encore mise en exploitation, sur les communes de Vendenheim et Reichstett.
Sur ce site, deux puits ont été creusés, profonds de cinq kilomètres, afin de pomper l’eau chaude souterraine pour en exploiter en surface le potentiel énergétique et la réinjecter ensuite sous pression dans le sous-sol.
« C’est un évènement qui est anormal », a concédé Jean-Philippe Soulé, directeur général de Fonroche Géothermie. « Une centrale géothermique crée toujours de la microsismicité, un petit peu plus au début, au démarrage, quand le chemin de l’eau se crée entre les deux puits. Mais là elle en a créé beaucoup trop ».
Après ces nouveaux incidents, les activités sur le site, déjà réduites au minimum, vont être diminuées vers un arrêt total de manière progressive, afin de limiter le risque de nouvelle secousse. La procédure « se déroulera sur environ un mois », a précisé Fonroche.
« Psychose » chez les habitants
Cette secousse intervient après plusieurs autres séismes moins intenses enregistrés depuis 13 mois et liés à la géothermie.
La première secousse, à 6h59, ressentie dans tout Strasbourg, a provoqué « une psychose » chez les habitants des communes proches de l’épicentre, selon Georges Schuler, le maire de Reichstett. « J’étais déjà debout, il y a eu un tremblement et un bruit très fort », a raconté Georgette, retraitée qui habite dans le village tout proche de La Wantzenau. « J’ai une grande baie vitrée qui sort sur la terrasse, elle a vibré, j’ai eu une peur énorme. J’ai pensé d’abord à une explosion dans la maison mais finalement, c’était le tremblement de terre ».
Georges Schuler a fait état de quelques dégâts matériels et de nombreux appels de riverains paniqués. « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Nous demandons l’arrêt définitif de l’exploitation du site », a-t-il déclaré… juste avant une réplique, de magnitude 2,8 enregistrée dans la même zone à 11h10.
Il a été rejoint par Pia Imbs, la présidente de la métropole de Strasbourg, qui a demandé, dans un communiqué, « un arrêt définitif du projet porté par Fonroche à Vendenheim ». Ses services ont annoncé la tenue d’une réunion publique le 11 décembre sur le sujet. Après une audioconférence avec les maires des communes concernées, la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, a diligenté une enquête administrative.
Un abandon du projet n’est cependant pas à l’ordre du jour, a fait savoir Jean-Philippe Soulé. « Il existe toujours des solutions. Aujourd’hui on n’est pas dans la perspective d’un arrêt définitif du projet, ce n’est pas le sujet. Par contre ce sera peut-être très long ».
Fonroche avait obtenu en 2016 du préfet une autorisation de forage, contre l’avis des élus des communes concernées. Elle a jusqu’ici investi près de 100 millions d’euros dans cette centrale qui vise à alimenter, selon elle, entre 15 000 et 20 000 logements en électricité, et 26 000 en chaleur directe.
Sismicité « déclenchée »
La controverse s’amplifie depuis un premier séisme de magnitude 3,1, le 12 novembre 2019. Son épicentre était situé à cinq kilomètres du site de géothermie. Considéré comme étant d’origine naturelle par Fonroche, il avait été classé « induit » par le Rénass.
« Dans la sismicité induite, il faut distinguer deux phénomènes », explique Jean Schmittbuhl, directeur de recherche au CNRS en sismologie. « Il y a ceux liés à la mise en pression directe du fluide. C’est ce qui s’est passé ces dernières semaines jusqu’à ce (vendredi) matin. Et il y a la sismicité dite déclenchée, quand le système, naturellement, était très proche de rompre, et que l’activité humaine constitue l’élément déclencheur. C’est ce qui s’est vraisemblablement passé l’an dernier ».
En septembre, la préfecture du Bas-Rhin avait autorisé la réalisation de tests dans les puits de la centrale afin trancher la question de l’origine du séisme de 2019. Mais ces tests ont été interrompus fin novembre après une nouvelle série de secousses, de magnitude plus faibles, comprises entre 1,1 et 2,7, suffisantes néanmoins pour susciter la crainte des riverains.
LQ/AFP