Hussigny-Godbrange, Saulnes, Villerupt : un bus de Luxembourgeois est parti à la rencontre de ces territoires oubliés de la croissance du Grand-Duché. Le constat d’un Luxembourg adossé à des communes peu attractives interroge notre modèle de développement.
Ils sont architectes, économistes, historiens ou issus du monde de la culture luxembourgeois. Samedi, sur invitation de la Fondation Bassin minier et de la revue Forum, ils ont embarqué dans un bus jusqu’à la frontière lorraine. Le but ? «Voir où vivent les frontaliers.» La démarche paraît incongrue. Le constat d’un Luxembourg adossé à des communes peu attractives est pourtant explosif pour la croissance (lire ci-dessous).
«Voir où vivent les frontaliers»
Derrière les vitres le paysage défile : Luxembourg, Esch puis la descente vers Hussigny-Godbrange. Ce n’est pas moche, mais le contraste est saisissant. Moins entre Esch et la frontière d’ailleurs, où l’on retrouve cette habitude de peindre les murs. Ici un portrait de Brassens, plus loin celui de Pablo Neruda. Ne manquent que les vers du poète : Il meurt lentement celui qui détruit son amour-propre / celui qui ne se laisse jamais aider.
Les fresques murales sont présentes à Saulnes aussi, que l’on finit par rejoindre via la forêt. Les murs racontent une ville que l’on aime, donc que l’on enjolive : de la verdure et les châteaux de la sidérurgie. Les repères avec le Luxembourg ne manquent pas : ici un bar propose de la Bofferding, plus loin on alterne entre façades usées et maisons de couleur taupe, comme des îlots de Grand-Duché dans un pays étranger. Nous avons marché cinq kilomètres et c’est un autre monde sous nos yeux : une sorte de Luxembourg qui aurait pris le dernier train de la croissance.
Le «palliatif» du Luxembourg
Comment en est-on arrivé là ? Des communes qui vivaient sous perfusion de la sidérurgie vivent désormais de l’emploi frontalier. «On a fait de la fonte jusqu’en 1968, pendant près de 100 ans, explique le maire Adrien Zolfo. Puis l’aluminium est venu nous concurrencer. Pour Saulnes c’était mort, mais on a trouvé un palliatif : le Luxembourg, que l’on a pratiqué (sic) avant les autres.» Comprendre avant Longwy ou Hayange, où la sidérurgie a sombré plus tard.
Ces communes, qui prospéraient grâce au minerai de fer, se sont retrouvées à gérer des frais énormes (grosses salles des fêtes, grand bâtiment…), avec un nouveau type d’habitant qui n’amène qu’une demi-part d’impôt : les frontaliers. Alain Casoni, le maire de Villerupt, explique : «Le Luxembourg est une chance pour nos bassins de vie : des habitants viennent s’implanter chez nous. Mais d’un point de vue des ressources, s’ils payent bien des impôts locaux, nous ne touchons pas la taxe entreprise… puisque les entreprises sont au Grand-Duché.»
Résultat, avec 70 % d’actifs frontaliers, les capacités d’investissement sont bloquées. «Notre région a classé le pouvoir d’investissement des communes en trois catégories, poursuit Bruno Trombini, un élu de Hussigny-Godbrange. La plupart des communes à la frontière sont dans la troisième catégorie.» En dessous même de la moyenne française et bien sûr très loin (des budgets divisés par trois, voire quatre) des communes du Luxembourg.
Un double effet de métropolisation
L’engourdissement est d’autant plus fort que les villes périurbaines subissent de plein fouet un mouvement global de métropolisation : «La poste, certains services sociaux… Beaucoup d’institutions sont concentrées dans les grandes agglomérations», déplore Alain Casoni.
Bruno Trombini nuance l’effet dortoir : «Quand j’étais jeune, je sortais déjà en boîte au Luxembourg !» Un participant blague : «Je ne comprends pas, vous nous aviez promis un discours marxiste», en référence à la couleur politique des trois élus. L’ambiance est conviviale : la chaleur humaine du Nord lorrain est égale à celle de Differdange ou Esch.
La difficulté à attirer dépasse en fait le monde de l’entreprise. «Prenez les médecins par exemple, reprend Alain Casoni. On veut leur faire des maisons médicales, on veut les aider. Mais dès qu’on a une réunion c’est : « Attendez, à 45 euros la consultation au Luxembourg, vous avez vu ce que je gagne de l’autre côté? ». Son bâtiment sera plus cher, c’est sûr. Mais comparé aux 25 euros la consultation en France…»
Projets avec le voisin? «C’est vite compliqué»
Dès qu’il faut faire des projets avec le voisin, enfin, ça devient compliqué. Même d’un point de vue écologique (chemins de randonnée) ou scolaire. Adrien Zolfo décrit : «Je m’entends très bien avec Mellina (NDLR : bourgmestre de Pétange) et Traversini (NDLR : bourgmestre de Differdange). Mais on bute vite sur des problèmes financiers.»
La commune de Differdange fait parfois des gestes, quand le cadre législatif le permet. L’étang derrière l’ancien presbytère de Lasauvage a été aménagé par les Luxembourgeois. Image surréaliste : une borne jaune délimite la frontière. L’endroit est joli, mais il y a bien deux mondes. Et c’est ici, notamment, que vivent «nos» frontaliers.
Hubert Gamelon
«Un danger pour le Luxembourg»
Sauf bouleversement technologique majeur, qui permettrait au Luxembourg de faire un saut de productivité conséquent, deux scénarios du Statec sont à retenir : gagner d’ici 2035 entre 72000 et 132000 frontaliers en plus. Dont une majorité sur le versant français, pour des questions de démographie.
Où les mettre ? Adrien Zolfo dit que les instituteurs et les policiers «qui viennent d’ailleurs» quittent dès qu’ils peuvent le secteur. «Un danger pour le Luxembourg», pointe Alain Casoni. Le monde de l’entreprise luxembourgeois s’inquiète aussi du manque d’attractivité de la zone frontalière, à plus forte raison avec le problème de pénurie de main d’oeuvre qui va grandissant (lire l’interview du directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce). Les pressions se font de plus en plus fortes sur le gouvernement luxembourgeois pour accélérer le codéveloppement.
30-06- 2000 : notre dernier fils a terminé ses études et trouvé un poste à Lux-Kirchberg pour septembre. Début juillet, nous venons quelques jours à la recherche d’un logement. Nous avons cherché dans toutes les directions et donc secteur au sud d’Esch Alzet en France : Agences « commerciales ??? » rendez-vous non respectés, logements « remis à neuf » en fait barbouillés vite fait. Villes peu entretenues. Cela me rappelait le 93 où j’ai vécu 27 ans. Et les trajets vers Luxembourg déjà saturés. Finalement il optera (avec notre avis favorable) pour la région de Grevenmacher. Bien sûr loyer plus cher mais peu de taxe d’habitation et autres gabelles. Logement quasi neuf , autoroute de Trier moins chargé. Depuis cette époque nous venons régulièrement. Et même en promenade sur la rive orientale de la Moselle, quand vous passez de Perl à Apach : quel choc !
Autre suggestion pour attirer un peu de monde arrivant d’ailleurs: En Lorraine surtout du nord il faudrait redonner de la place au francique lorrain voire à l’allemand