Les traits tirés par la fatigue après quatre jours de route depuis Kiev, Volodymyr Yarmolenko peut enfin souffler. Il a rejoint le sud de la Moselle, à Dabo, avec ses enfants.
Aux premières heures, jeudi dernier, Volodymyr Yarmolenko a mis ses deux enfants et quelques affaires dans sa voiture pour fuir la capitale ukrainienne, qui tente de résister aux bombardements. La famille est arrivée à Dabo, au sud de la Moselle, mardi matin, après une odyssée de 2 000 kilomètres à travers l’Europe. «On a tout quitté», résume-t-il, assis dans le salon de l’ami qui l’héberge. Parti dans la précipitation, il a laissé derrière lui ses proches, son appartement et ses deux entreprises de traduction et d’enseignement de langues étrangères, alors que Vladimir Poutine lançait l’invasion de son pays. Âgé de 38 ans, Volodymyr a réussi à quitter l’Ukraine car, divorcé, il a la garde de son fils de 13 ans et de sa fille de 11 ans, porteuse d’un handicap mental. Il est passé entre les gouttes car les hommes de 18 à 60 ans, mobilisables, ont depuis interdiction de quitter le territoire. Lui s’estime «chanceux» d’avoir pu passer la frontière pour mettre ses enfants «en sécurité» et leur épargner «les horreurs de la guerre».
Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, près de 875 000 personnes ont déjà fui l’Ukraine vers les pays voisins depuis le début des hostilités. Pour ne pas effrayer ses enfants, Volodymyr a trouvé un stratagème : leur faire croire qu’ils faisaient un tour d’Europe, «des grandes vacances avec papa», même si cela n’a pas été facile «de dormir plusieurs jours dans la voiture». Il leur a aussi fallu patienter près de quinze heures au poste-frontière en Ukraine avant de passer en Hongrie. «C’était terrible», raconte-t-il, de voir ces files de voitures, les larmes des familles obligées de se dire au revoir à la frontière, les hommes devant rebrousser chemin parfois à pied. En France, il peut compter sur l’accueil de Grégoire Schnakenbourg, 47 ans, directeur de projet dans l’informatique et ancien expatrié en Ukraine. C’est là-bas qu’ils s’étaient rencontrés. Volodymyr lui a enseigné le russe pendant près d’un an. «Consterné, dégoûté» par l’invasion russe de son pays de cœur, Grégoire a immédiatement envoyé des messages à ses amis ukrainiens pour leur proposer son toit, s’ils en venaient à quitter leur pays. Message reçu par Volodymyr, qui a donc posé ses valises dans le salon des Schnakenbourg. «C’est de la solidarité : on a une grande maison, on se débrouillera», raconte Grégoire, les yeux rivés sur son téléphone.
«La plus stupide des guerres»
Car il ne compte pas s’arrêter là. L’informaticien attend désormais des nouvelles d’une famille ukrainienne, une femme, ses trois enfants et leur chat, qu’il s’apprête à aller chercher en voiture dès samedi matin à Budapest pour les ramener ensuite au Luxembourg : «Mille kilomètres aller, Mille kilomètres retour». Grégoire a même posé plusieurs vendredis d’affilée pour d’autres allers-retours jusqu’à la frontière ukrainienne. Le curé de la paroisse, Serge Houpert, entend bien aussi «faire appel à la générosité des fidèles». À Volodymyr, il a déjà proposé un logement. Les enfants jouent dehors. Leur père ne quitte pas son téléphone du regard, inquiet pour ses proches restés en Ukraine, dont ses parents, qui ont trouvé refuge dans l’ouest du pays. À 59 ans, son père n’a pas franchi la frontière.
La violence de la guerre le rattrape dans un message de l’une de ses anciennes camarades de classe : elle lui annonce la mort de son frère, tué la veille en combattant. «C’est de la folie : pourquoi?», s’interroge Volodymyr, sous le choc de la terrible nouvelle. «C’est la plus stupide des guerres, entre deux nations qui parlent la même langue, qui partagent la même histoire et qui ont commencé à se battre entre elles», se désole-t-il. Lui n’imagine pas tirer sur des gens qui pourraient être ses «cousins» ou ses «oncles». Il espère plutôt venir en aide à ses compatriotes depuis l’étranger, une fois installé en France ou en Allemagne, il ne sait pas encore. «Ce n’est que le début : combien de temps cela va durer ? Personne ne le sait», note-t-il, fataliste. «Une fois que la machine de guerre s’est mise en marche, c’est très difficile de l’arrêter.»
On fait pas de dons pour évacuer 1 chat !!!