Le procès du déraillement de la rame d’un TGV d’essai qui a causé la mort de 11 personnes en Alsace le 14 novembre 2015, largement occulté par les attentats jihadistes meurtriers de la veille, s’ouvre lundi à Paris.
La SNCF, ses filiales Systra (commanditaire des essais) et SNCF Réseau (gestionnaire des voies) ainsi que trois personnes physiques (le conducteur titulaire, un cadre de la SNCF chargé de lui donner les consignes de freinage et d’accélération et un ingénieur de Systra, chargé de renseigner le conducteur sur les particularités de la voie) sont sur le banc des prévenus.
Ils sont poursuivis pour homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité.
Les trois personnes physiques encourent trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Les trois sociétés risquent une amende de 225 000 euros.
Avocat du cheminot, Philippe Sarda plaidera la relaxe de son client. « Il n’avait qu’un rôle d’exécutant devant respecter les consignes », a expliqué Me Sarda.
Le procès est prévu jusqu’au 16 mai.
Vitesse excessive et freinage trop tardif : les causes principales de l’accident ont été identifiées. Mais la justice devra déterminer les responsabilités de chacun dans l’enchaînement des événements qui ont mené à l’accident, occulté par les 131 morts des attentats du 13-Novembre au Bataclan, au Stade de France et des terrasses parisiennes.
« Oubli collectif »
« Ce procès va déjà permettre de sortir ce drame de l’oubli collectif », a confié à l’AFP l’avocat Gérard Chemla, conseil d’une cinquantaine des 89 parties civiles recensées avant l’ouverture du procès. Mes clients « attendent de l’honnêteté et du courage de la part des protagonistes », a-t-il ajouté.
Le 14 novembre 2015, 53 personnes, salariés du secteur ferroviaire et membres de leurs familles, dont quatre enfants, avaient pris place à bord de la rame pour l’ultime test du tronçon de la nouvelle Ligne à grande vitesse Est européenne (LGVEE) entre Baudrecourt (Moselle) et Vendenheim (Bas-Rhin).
À 15h04, au niveau d’Eckwersheim (Bas-Rhin), à 20 km de Strasbourg, le train a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit.
Il a déraillé 200 mètres plus loin à une vitesse de 243 km/h, avant de percuter un pont et de basculer dans le canal de la Marne au Rhin.
Onze personnes ont perdu la vie et 42 autres ont été blessées, dont une vingtaine gravement.
Les experts du pôle « accidents collectifs » du tribunal judiciaire de Paris ont considéré que le déraillement de la rame avait été causé par « une vitesse excessive » et un freinage tardif.
La rame accidentée était une rame d’essai, de type TGV classique. Au moment de l’accident, elle circulait en survitesse pour tester l’infrastructure de la voie en vue de son raccordement prochain au réseau ferré.
TGV commercial
Les aménagements consistaient principalement en la désactivation des systèmes habituels de contrôle de la vitesse pour permettre la survitesse, et l’installation d’appareils de mesure afin de suivre les essais.
Pour le reste, il s’agissait d’un TGV identique à tous ceux utilisés sur le réseau commercial, composé d’une motrice de tête et une motrice de queue encadrant huit voitures dont une voiture « laboratoire » pour les essais.
Dans son ordonnance, le juge d’instruction a relevé plusieurs manquements de la part de la SNCF et de Systra: « préparation insuffisante » des essais de la rame en survitesse, « manque d’anticipation des risques de déraillement », « insuffisance de communication et de coordination » entre les équipes de Systra et celles de la SNCF, « lacunes dans la formation du personnel » chargé des essais.
Le choix de Systra de pousser la rame à la vitesse de 330 km/h sur la portion de la ligne où s’est déroulé l’accident était « dangereux, non nécessaire et contraire aux préconisations », a pointé le magistrat instructeur.
« Systra n’était pas en charge de la conduite », sous la responsabilité de la SNCF, a rappelé l’avocat de Systra, Me Philippe Goossens. Il demandera la relaxe de son client qui n’a, selon lui, « pas fait de faute ».