Un « lanceur d’alerte » ? En l’espace de deux livres, le pasteur français Michel Weckel, 65 ans, jette une lumière inédite et crue sur des compromissions longtemps tues d’une partie des protestants d’Alsace-Moselle avec le nazisme.
Cette région de l’est de la France a subi de 1940 à 1944 une annexion nazie douloureuse, avec notamment la tragédie des « Malgré-nous », « , ces 130 000 Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée allemande.
« Le moment était venu de faire ce travail », explique Michel Weckel, désormais en retraite et qui fut délégué régional pendant une vingtaine d’années de la Cimade, association d’aide aux personnes migrantes et réfugiées.
En 2022, son premier ouvrage, intitulé Ces protestants alsaciens qui ont acclamé Hitler, avait suscité des remous dans la région.
Son nouveau livre, Entre silences et non-dits, les protestants d’Alsace face au nazisme, sorti le 9 avril chez le même éditeur, poursuit ce travail de rupture avec une certaine « position victimaire » dans laquelle l’Alsace s’est, selon lui, « drapée ».
« Honte »
Le drame des « Malgré-nous », vécu dans la région « comme une honte », a été « totalement incompris » ailleurs en France, mais en Alsace-Moselle, il a « écrasé » tout le reste et renforcé la dimension victimaire de la mémoire, analyse l’historienne Frédérique Neau-Dufour, qui a préfacé le dernier livre de Michel Weckel.
Une mémoire « très lourde » car « les blessures traversent chaque famille », observe-t-elle, faisant le parallèle avec l’Autriche, autre « territoire annexé qui, après la guerre, peut se targuer de l’annexion pour dire qu’il n’a pas voulu le nazisme. Ça exonère de se poser les vraies questions ».
Nourris d’archives, les deux ouvrages évoquent les « réseaux luthériens » pro-allemands (puis pro-nazis), actifs dans l’Entre-deux-guerre et radicalement opposés au retour dans le giron français de l’Alsace en 1918.
Les affinités d’une partie du protestantisme local avec le nazisme y sont passées au crible, avec un portrait glaçant du « luthéranisme rural » du nord de l’Alsace et de Moselle, dont plusieurs membres s’engagèrent dans des associations radicales, puis dans les organes de l’État nazi durant l’annexion.
« Ils se sentaient foncièrement allemands et pensaient que le rattachement de l’Alsace (à la France), qui s’est fait progressivement après la guerre de 30 ans au XVIIe siècle, était une erreur historique », explique l’auteur.
Pour ces militants « pangermanistes », « c’était la volonté de Dieu que l’Alsace soit allemande », poursuit celui qui a débuté dans les années 80 « dans une paroisse luthérienne extrêmement traditionaliste » où on pratiquait encore « les cultes en allemand ». Jeune pasteur, Michel Weckel s’interrogeait alors sur les scores électoraux élevés de l’extrême droite dans ce secteur.
Parmi eux, Fritz Spieser, fils de pasteur et chef de file du réseau autonomiste de la Hunebourg, du nom d’un château du nord de l’Alsace. En septembre 1940, il y accueillit Heinrich Himmler, futur architecte de la « solution finale ».
Ou Hermann Bickler, avocat strasbourgeois mennonite, qui occupa dans la SS d’éminentes fonctions et fut proche de l’écrivain collaborationniste Louis-Ferdinand Céline.
Tous ne se sont pas compromis : l’auteur rend hommage à cinq pasteurs résistants, comme Charles Fichter, membre du réseau Mithridate, déporté à Mauthausen mais qui survivra.
« Sépulcral »
Figure moins glorieuse, Paul Frey, « nazi notoire » : à la Libération, lui, sa femme et l’une de ses filles seront traînés dans les rues de Sélestat, offerts aux insultes et aux crachats des passants.
Le pasteur dut balayer les rues de la commune avec une pancarte indiquant : « C’est au Führer que je le dois ».
Son fils Albert s’engagera dans les Jeunesses hitlériennes, puis dans la Wehrmacht. Après la guerre, devenu pasteur, il sera pacifiste et militant des droits humains.
Fille d’Albert et petite-fille de Paul, Pascale Frey, 64 ans, savait par son père « des choses » sur son aïeul, explique-t-elle. Mais c’est en lisant le second livre de Michel Weckel qu’elle a « pris la mesure de son engagement » : elle a voulu « en savoir plus » en rencontrant l’auteur et en lui confiant des documents familiaux.
« Je suis très heureuse d’avoir apporté cette petite pierre », glisse Pascale Frey. « Il faut que ça bouge, c’est l’histoire de l’Alsace ! »
Michel Weckel est « un lanceur d’alerte » qui « attire l’attention sur quelque chose d’injuste »: un « regard biaisé sur le passé », estime Frédérique Neau-Dufour, qui pointe dans sa préface le « silence sépulcral » qui a entouré jusqu’à présent cette facette de l’histoire du protestantisme local.