La tuilerie artisanale de Niderviller continue à produire avec des machines datant de 1928, et affiche un carnet de commandes bien fourni, dans une démarche de préservation du patrimoine. Visite sur place.
En entrant dans le bâtiment, une impression de retour dans le temps : de vieilles machines d’un autre temps fonctionnent encore, malgré quelques rafistolages et la nécessité d’entretenir les rouages avec une huile spécifique. L’usine, vieille de 200 ans, figurait au cadastre de l’année 1835, mais était déjà implantée avant, en 1820, selon son actuel dirigeant, Christophe Henselmann, avec l’apparition de la mécanisation. Elle a été modernisée pour la dernière fois en 1928. Depuis, tout semble figé dans le temps… et en état de marche, malgré l’usure de pièces, les petites (et régulières) réparations, et la nécessité de réaliser des investissements pour pérenniser l’entreprise.
Après avoir récupéré l’argile, un employé le charge dans un wagon, qui montera ensuite au troisième étage de l’usine via une rampe, actionnée manuellement. Au XXe siècle, il s’agissait du «point de départ d’une installation moderne dite en cascade», explique Christophe Henselmann, qui, si elle n’est plus tout à fait moderne, n’a jamais été abandonnée dans la dernière tuilerie artisanale de Lorraine, l’une des dernières de France. «C’est un outil qui a quasiment disparu en France, il ne reste plus qu’une seule autre rampe qui a été conservée à titre de monument historique, sinon tout a disparu», précise-t-il.
Une fois la matière première montée au dernier étage, elle redescend «par gravité» jusqu’au rez-de-chaussée, où les tuiles sont fabriquées, après avoir été malaxée dans un broyeur à meule, lui aussi activé et surveillé manuellement. C’est une sorte d’«écomusée», sourit son gérant, qui a «grandi» dedans. En 1963, l’entreprise a été à l’arrêt… jusqu’à son rachat, deux ans plus tard, par le père et le grand-père de Christophe Henselmann. «Ils ont vivoté, ils n’ont jamais lâché le morceau malgré qu’ils n’aient jamais rien gagné.» Et sans argent, impossible de moderniser. «Les machines sont restées dans l’état où elles sont.» µ
Ça n’a rien à voir avec les tuiles industrielles!
Le site emploie aujourd’hui huit personnes, contre plus d’une centaine après la guerre, selon les archives de l’entreprise. Christophe Henselmann, qui voulait moderniser l’usine, est devenu chef de l’entreprise en 1998, année où il a acquis un petit four plus adapté à sa production, permettant des économies d’énergie sur ce volet de cuisson. Cédric Zaig, âgé de 46 ans, qui travaille à Niderviller depuis un an et demi, «aime travailler à l’ancienne» après 20 ans de travaux publics dans le bâtiment. «Je ne pensais même pas que ça existait.»
«On voyait que c’était ancien, mais j’ai travaillé dans la faïence avant, donc ça ne m’a pas trop dépaysé», renchérit Laurence Trumpf, 59 ans dont treize de maison. Et avec les commandes, «c’est la fierté de voir notre travail» sur des monuments historiques comme la bibliothèque des Dominicains à Colmar. Le carnet de commandes est en effet plein sur les prochains 18 mois, sourit le gérant, qui répartit son travail entre particuliers et collectivités. Avec «le loto du patrimoine ou les émissions de Stéphane Bern», il a remarqué récemment un attrait fort des particuliers qui veulent rénover leurs habitations avec des tuiles semblables à l’origine.
En effet, «ça n’a rien à voir avec les tuiles industrielles!», assure Christophe Henselman, qui affiche un chiffre d’affaires en progression d’année en année. Une fois passée à la presse, une finition à la main est réalisée par les employés pour donner aux tuiles leur décor unique. Mais les installations actuelles vivent leurs derniers mois. Avec ce système, l’entreprise pourrait produire 15 tonnes de tuiles par heure. «C’est surdimensionné, comparé aux cinq tonnes par jour que l’on a besoin de produire», note encore le gérant.
«Maintenant avec le prix de l’électricité, on est obligés d’investir dans des machines plus petites», explique-t-il, alors qu’avec la guerre en Ukraine, sa facture d’électricité a été multipliée par six. Sans changement de matériel, «à la fin de l’année, on est foutus!». La production est aussi plus écologique que celle réalisée en industrie : les ouvriers vont chercher leur matière première dans une carrière, à 800 mètres de là, selon l’entreprise. Mais le gisement est «très petit» avec «1 mètre, 1,5 mètre d’épaisseur d’argile de bonne qualité». Exploité depuis l’implantation de la première tuilerie, en 1722, il pourrait être épuisé d’ici «quinze, vingt ans». Mais d’autres ressources seront exploitables dans la région, se rassure Christophe Henselmann.