Metz – Pierre Jeras, le père de Corentin, mort le 2 novembre des suites d’une opération de l’appendicite à l’hôpital Claude-Bernard à Metz, parle pour la première fois.
Pierre Jeras, le père de Corentin, et son avocate, Me Annie Chilstein-Neumann : « il y a eu trop de ratés, qui ont compromis ses chances de survivre ». (Photo : Pascal Brocard/RL)
Il y a un mois, le parquet de Metz ouvrait une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après la mort de Corentin Jeras, 11 ans, décédé d’une opération de l’appendicite qui a mal tourné le 1er novembre. Depuis le début, Pierre, son père, psychiatre à Illange, s’est tu. Aux côtés de son avocate, Me Annie Chilstein-Neumann, il demande aujourd’hui des comptes aux praticiens qui ont pris son fils en charge à l’hôpital-clinique Claude-Bernard de Metz.
> Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Pierre Jeras : Je suis furieux. Depuis que le voile se déchire, je me rends compte qu’il n’a eu aucune chance de s’en sortir. Il y a eu trop de ratés, qui ont compromis ses chances de survivre.
> Le 31 octobre, vous étiez opposé à l’opération, n’est-ce pas ?
Oui, nous avions un accord avec le chirurgien : il ne devait pas intervenir si les signes de l’infection se réduisaient. Or les globules blancs baissaient de jour en jour. Pour moi, le médecin a précipité l’indication d’opérer (NDLR : ce que le praticien conteste. Selon lui, Corentin souffrait d’une appendicite aiguë). Le vendredi, deux radiologues de Claude-Bernard ont examiné ses clichés; je les ai vus également. Il n’y avait pas lieu d’opérer. Le scanner était normal à l’exception d’une petite inflammation. Le radiologue avait prescrit d’attendre et de surveiller.
> Tout change aux urgences pédiatriques de Claude-Bernard, où vous deviez juste récupérer un traitement pour Corentin ?
Oui, j’avais refusé de prescrire moi-même (NDLR : les antibiotiques). J’aurais dû ! Notre médecin traitant était fermé, on est allé aux urgences. Seule ma femme a été acceptée pour l’accompagner dans la chambre; j’étais en salle d’attente. C’est bizarre, mais le chirurgien a donné son avis alors que Corentin était déjà admis en pédiatrie. Tout a été fait comme s’il devait être opéré d’emblée.
> L’opération se décide. Que faites-vous ?
Je suis médecin. Je suis conditionné à respecter la parole du chirurgien. Pourtant, c’est la première fois de ma vie que je freine la main d’un professionnel. J’apprends seulement bien plus tard que l’infection a baissé le samedi. À ce moment-là, je ne suis pas à l’hôpital. Sinon, j’aurais récupéré mon fils. À l’origine, je voulais aller au CHU de Nancy où j’ai fait mes études.
> Aujourd’hui, vous êtes assailli par les interrogations et les doutes…
Bien sûr. C’est moi qui demande le transfert de Corentin à Nancy en fin de journée (NDLR :le samedi). Quand le chef de service de chirurgie pédiatrique de Brabois vient me parler, il évoque une situation exceptionnellement grave et dit qu’il ne veut pas mettre en cause des confrères. Comment peut-on rater une cœlioscopie comme cela ? Comment ne voit-on pas tout de suite le saignement dans l’abdomen de Corentin alors qu’en ouvrant, ils découvrent plus de deux litres ? Pourquoi faut-il trois chirurgiens pour suturer une plaie de l’aorte, et le tout en six heures ? Pourquoi le chirurgien vasculaire intervient-il si tard, à 16h40 ? S’ils avaient ouvert l’abdomen plus tôt et si le bon chirurgien avait résorbé la plaie de l’aorte, aujourd’hui, j’irais récupérer mon fils à la sortie de l’école et pas le visiter au cimetière.
Recueilli par Alain Morvan (Le Républicain Lorrain)