« Fumer bouche vos artères ». Le message antitabac s’accompagne toujours d’une image percutante. Par exemple, la photo d’un sexagénaire albanais demeurant à Metz amputé à la suite d’une fusillade. Sauf qu’il n’a jamais donné son autorisation pour qu’elle soit utilisée par les géants du tabac.
Sa photo s’affiche sur tous les paquets de cigarettes commercialisés en France et au Luxembourg. Peut-être dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Sa photo, disons plutôt celle du moignon de sa jambe gauche. Une image choc comme l’impose depuis 2016 la politique contre le tabac. Mais surtout choquante pour cet Albanais installé à Metz depuis quelques années. Il n’a signé aucune autorisation pour l’utilisation de ce cliché ». Plus curieux encore, il y a tromperie sur le message diffusé : « Fumer bouche vos artères » dénonce la marchandise. Or, l’amputation de ce membre n’a aucun lien avec le tabagisme.
Le fils du sexagénaire est tombé le premier sur l’image. « Il revenait du Luxembourg. Sans rien nous dire, il dépose une grosse boîte de tabac à rouler sur la table, raconte sa sœur qui joue la traductrice pour son père. On est restés interdits un moment… On n’y croyait pas. » La photo montre un tronc, une jambe coupée assez haut. Ils la connaissent assez pour n’avoir aucun doute. « C’est celle de notre père. Ses cicatrices sont caractéristiques. » L’avocat messin de la famille, Antoine Fittante, confirme : « Chaque cicatrice est spécifique, unique. Cet homme a également des traces de brûlures sur l’autre jambe, c’est très net. Un expert n’aura aucune difficulté à identifier l’image. »
Pas de retour du médecin
Depuis son arrivée en France, et son installation auprès de ses enfants parfaitement intégrés, cet homme rêvait d’un appareillage pouvant l’aider à marcher sans béquilles. Et à oublier cette fusillade en Albanie qui l’a estropié à vie en 1997. Il y a cru lorsqu’un orthopédiste l’a envoyé en 2018 vers un spécialiste de l’hôpital militaire Legouest à Metz. Des photos – dont celle diffusée – ont été envoyées pour évaluer les possibilités. Le patient a passé une IRM. « On avait espoir. Vraiment. Mon père vit avec des béquilles depuis plus de vingt ans. Il ne s’était jamais résigné. Il a toujours espéré retrouver de l’autonomie. Pour lui, c’était synonyme d’une nouvelle vie », sourit sa fille.
La petite flamme s’est éteinte en même temps que la découverte de l’image sur les paquets. « On n’a plus jamais eu de retour du médecin de Legouest. » Le patricien n’y travaille plus aujourd’hui. « Depuis tout ça, mon père n’a plus confiance dans le corps médical. Il a vécu ça comme une trahison. C’est blessant », témoigne un de ses enfants.
Les explications de la Commission européenne n’ont pas permis de retracer le parcours de la photo. Parce que « la personne dont vous nous avez communiqué le nom ne figure pas dans la bibliothèque de ces images destinées aux avertissements de santé », a-t-elle répondu. Cela soulève une autre question : quelqu’un a-t-il signé le document de consentement sous un autre nom ? « La commission va devoir me produire ces éléments », prévient Me Fittante.
Kévin Grethen/Le Républicain Lorrain