Au centre pénitentiaire de Queuleu, c’était déjà le premier tour de la présidentielle, mercredi. Les détenus ont voté par correspondance.
Une urne posée sur un bureau. Douze tas de bulletins. Un coin aménagé en isoloir dans une salle de classe, avec ses livres de cours et son tableau au mur. À s’y méprendre, on pourrait se croire dans un bureau de vote juste réaménagé. Sauf qu’ici, n’accède pas qui veut. Le local électoral est au bout de longs couloirs aux couleurs tristes. Il faut franchir huit portes sécurisées. Tout cela sous l’œil de caméras de surveillance.
Bienvenue au bureau de vote dans le centre pénitentiaire de Metz-Queuleu. Ici, près de 554 personnes sont détenues, dont près d’un tiers d’étrangers. Mercredi, pour ceux qui s’étaient inscrits pour voter par correspondance, c’est le grand jour. Une première pour une présidentielle. Jusqu’en 2019, les détenus ne pouvaient voter que par procuration ou lors d’une permission de sortie (lire encadré ci-dessous).
«On a essayé de reproduire les mêmes conditions de vote, affirme Guillaume Adeline, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation. Ceux qui se sont inscrits doivent faire comme tout le monde. Prendre une enveloppe bleue, au minimum deux bulletins. Aller dans l’isoloir, mettre leur choix dans l’enveloppe. Voter et signer.»
Toute la matinée, les 54 détenus inscrits sur la liste d’émargement de la prison, ont répété les mêmes gestes. Sauf qu’eux ne peuvent rentrer qu’un à un dans la pièce prévue à cet effet. Ils prennent une enveloppe nominative blanche.
Dedans ils insèrent une enveloppe bleue, dans lequel ils placent le bulletin de leur choix, pour garantir le secret de leur vote, et une photocopie de leur pièce d’identité. Mais la solennité reste la même : «A voté», répète le capitaine Alain Vatrinet, chef de détention, tout au long de la matinée.
«Un acte citoyen absolument nécessaire»
Dans ce lieu, les détenus s’expriment assez spontanément sur leurs choix. «Moi, j’ai donné ma voix au même candidat qu’en 2017 : Philippe Poutou», affirme fièrement Dominique*, Messin de 50 ans. «Il représente mes valeurs et mes convictions. Il est proche de nous.» Comme d’autres, il qualifie cette campagne de «désastreuse» et de «gabegie».
Il ne perd pas de vue que le vote reste «un acte citoyen absolument nécessaire» et déplore le fait que beaucoup en prison «s’en foutent». «J’ai voté pour que tout change. Au niveau du pouvoir d’achat et de l’insécurité», confie Raphaël, ancien agent de sécurité.
«Depuis longtemps, je vote donc Marine Le Pen.» Un troisième prisonnier confie qu’il a porté son choix sur Emmanuel Macron parce qu’il est «jeune et dynamique». La seule femme à voter ce jour-là, Christine, a choisi Nathalie Arthaud. «Pour moi, c’est elle qui parle le mieux. De l’augmentation du prix des produits ou du carburant.»
Dans l’établissement, le Covid-19 sévit toujours. Plusieurs personnes sont touchées. Entre ces murs, porter le masque reste obligatoire. De fait, plusieurs ateliers, pour inciter les détenus à voter, ont été annulés. En outre, l’entrée à la bibliothèque a été fermée. Sans elle, l’accès aux journaux est resté impossible.
Officiellement, les prisonniers ne peuvent pas utiliser internet. «Moi, j’ai suivi les débats à la télévision dans ma cellule», rapporte un des votants. «J’en ai discuté avec mon fils au téléphone. On n’en parle pas entre nous», explique Christine. La journée s’est déroulée dans le calme. Tous les inscrits ont pu voter, sauf un. Pour lui, atteint du Covid, l’urne sera apportée en cellule. Dans 15 jours, ils reproduiront les mêmes gestes, au même endroit. Comme presque n’importe quel citoyen.
* Prénoms modifiés.
Le vote possible en prison depuis 2019
«Le vote par correspondance a permis de quadrupler la participation en prison», affirme Guillaume Adeline. Depuis 2019 et la loi de programmation et de réforme pour la Justice, des bureaux de vote sont aménagés à l’intérieur des prisons. Pour cette présidentielle, l’administration pénitentiaire a remis un courrier aux 350 détenus qui ont le droit de voter. Quatre-vingt-douze ont manifesté leur intérêt de le faire. Parmi eux, 54 se sont inscrits.
Une fois leur acte citoyen rempli, les bulletins sont amenés ailleurs pour être dépouillés. C’était déjà le cas pour les élections européennes en 2019, régionales et départementales en 2021. Avant, les seules procédures possibles étaient le vote par procuration ou la demande d’une autorisation de sortie. Ces deux modes ne mobilisent pas autant : seuls sept détenus ont trouvé un mandataire. Et une dizaine d’autres bénéficieront d’une permission de sortie pour accomplir leur devoir.