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Lorraine : un diocèse brade ses églises


Face au manque de fidèles, l’église Notre-Dame-de-Franchepré à Jœuf est mise en vente. Les habitants de l’ancienne cité sidérurgique se mobilisent, voulant conserver l’édifice construit en 1910, au cœur du quartier ouvrier qui a vu naître Michel Platini.

C’est une terre où même les clochers sont symboles de l’histoire ouvrière : en Meurthe-et-Moselle, à Jœuf, l’annonce de la vente d’une église suscite une mobilisation populaire au nom de la défense du patrimoine. L’église, comme beaucoup d’autres dans l’est de la France, témoin de la révolution industrielle, a été bâtie au début du XXe siècle, en même temps que les quartiers ouvriers et les usines. Tous les édifices religieux construits après 1905 (et la loi de séparation de l’Église et de l’État) sont propriété des diocèses, ce qui représente environ 2 000 églises et chapelles en France. Les 40 000 autres sont majoritairement détenues par les communes.

Très fréquentée au début du siècle dernier, Notre-Dame-de-Franchepré, monument de 1 500 places construit par un patron pour ses ouvriers, n’abritait plus de célébrations depuis «plusieurs années», dit le diocèse de Nancy-Toul, ce qui constitue la «motivation principale» de la mise en vente. Le dernier enterrement qui y ait été célébré, en décembre 2017, était celui d’Aldo Platini, père de Michel. Le footballeur a aussi été enfant de chœur dans l’église, comme en témoignent des photos conservées par le Cercle pour la promotion de l’histoire de Jœuf (CPHJ).

L’église a été désacralisée en juin. «Alors j’ai compris que c’était un nouveau combat qui s’engageait», dit le président du CPHJ Roger Martinois, qui a pour objectif «que l’église ne soit pas vendue à n’importe qui, ne devienne pas n’importe quoi et reste un bâtiment qui représente la mémoire et l’histoire de la commune», sans quoi elle «perdrait son âme». Le message semble être passé : en moins d’une semaine, une pétition en ligne, lancée par une habitante, Manuela Pastore, a recueilli plus de 800 signatures. «Il y a un vrai élan de toute la ville» de 6 000 habitants, salue-t-elle.

Que l’église ne soit pas vendue à n’importe qui et ne devienne pas n’importe quoi

L’église était pourtant désertée ces dernières années. «La vie des communautés paroissiales est en pleine mutation. On est un peu sur un effondrement de la pratique que l’on connaissait auparavant», observe encore le diocèse, qui voit également un «nouveau dynamisme qui monte, avec l’arrivée de nombreux catéchumènes», des adultes qui se font baptiser après 18 ans. «Ces gens-là sont en demande d’une vraie vie de communauté, d’un besoin de se rassembler. Ils ont besoin d’églises pleines», poursuit le diocèse.

«Ces grandes églises, elles datent d’une autre époque, avec énormément d’ouvriers dans les mines qui les remplissaient facilement». Elles ne sont «plus adaptées», selon le diocèse. Et le coût d’entretien est très élevé. Un argument contrecarré par le maire André Corzani : «Moi, je règle la question du déficit, le problème de gestion de l’église, en la reprenant à notre compte», plaide l’élu qui souhaite que Notre-Dame-de-Franchepré lui soit cédé pour un euro symbolique.

La ville souhaite en faire un lieu culturel et des discussions sont en cours entre les élus et le CPHJ notamment. «C’est un édifice qui est unique aussi du point de vue de son architecture», abonde Roger Martinois. «Nous avons déjà sauvé l’église» au début des années 2000, alors qu’elle avait besoin d’être profondément rénovée. La commune avait à cette époque récolté 80 000 euros de dons en faisant notamment appel à la famille Wendel, les bâtisseurs de l’édifice. Quelque 400 000 euros de deniers publics avaient aussi été mobilisés.

Depuis plusieurs jours, l’église est vidée de ses objets par le diocèse. L’orgue, remarquable, a cessé de fonctionner depuis longtemps, note Roger Martinois. À Chaligny, une commune de près de 3 000 habitants située à une dizaine de kilomètres de Nancy, l’annonce de la mise en vente de la chapelle Notre-Dame-Du-Fer avait suscité sensiblement la même controverse. La commune, qui réclamait une cession pour un euro symbolique, avait finalement dû débourser 50 000 euros.

Près de Nancy, une autre église avait failli être transformée en fast-food au début des années 2010. Le diocèse avait «annulé la vente». «On veut que les projets qui vont s’insérer puissent respecter les lieux, leur histoire», précise-t-il. Selon la Conférence des évêques, il y a eu 255 désacralisations d’églises en France entre 1905 et 2015, contre plus de 1 800 constructions d’édifices dans le même temps.