Metz – La classe unique, qui a rythmé l’école rurale pendant des décennies, est en voie de disparition au profit des regroupements pédagogiques.
Kristel Van Hyfte, l’enseignante, a divisé la classe en trois groupes, qui se tournent parfois le dos. Chacun a droit à son tableau noir. (Photo : RL/Karim Siari)
Axel et Lola ont six ans. Louis, Hugo et Téva en ont dix. Quatre niveaux scolaires les séparent. Et pourtant, tous sont dans la même classe. La classe unique de Laneuveville-en-Saulnois, minuscule village de 300 habitants à cinq tout petits kilomètres de Delme.
Quatre CP, six CE1, sept CE2, trois CM1 et trois CM2 s’y partagent la même pièce. La classe est divisée en trois groupes, se tournant parfois le dos. Chacun a son propre tableau noir. « J’ai regroupé le cycle 3 (CE2, CM1 et CM2) », explique Kristel Van Hyfte. La première lecture à voix haute permet d’observer les différences de niveaux, énormes. D’une voix douce et posée, dans un silence de cathédrale, l’enseignante donne ses consignes. « Les CP, nous allons travailler sur un nouveau son. Les CE1, vous prenez votre fichier maths. Les CE2, vous m’écrivez en toutes lettres les trois nombres au tableau et vous posez et effectuez les quatre multiplications écrites dessous. Les CM, je vous marque les exercices de votre manuel de maths à effectuer. »
> « C’est sportif ! »
« C’est sportif ! », reconnaît la maîtresse à la pause de midi. Son cahier journal, où sont annotées les différentes séquences de travail, donne le tournis. La classe unique ne souffre pas la moindre approximation. « Je prépare comme si j’avais cinq classes. Je commence début août. Chaque journée doit être calibrée avant pour qu’il y ait le moins de temps morts possible », sourit celle qui en est à sa 4e année d’enseignement en classe unique. La jeune femme se rend d’un groupe à l’autre. Mais s’attarde toujours plus longtemps auprès des CP, qui demandent plus d’attention. Une auxiliaire de vie scolaire qui accompagne un enfant absent ce jour l’aide en passant aussi de table en table. En classe unique, la solidarité n’est pas un vain mot.
Une fois leur travail terminé, les élèves vaquent à une autre occupation. Sans rien demander. Certains dessinent, d’autres vont prendre un livre à la bibliothèque ou se rendent aux toilettes. L’enseignante y voit le principal bienfait de ce modèle d’autrefois qui tend à disparaître : « Les enfants sont beaucoup plus autonomes au moment d’aborder le collège. » Autonomie. Le mot est lâché. Il est sur toutes les lèvres des parents qui attendent leurs enfants sur le trottoir. Juste avant l’aspect cocooning de cette classe où évoluent six fratries et plusieurs cousins : « C’est l’environnement idéal pour mettre à l’aise un enfant. C’est très familial. On n’a pas l’angoisse des rentrées à gérer. Ils connaissent la maîtresse et les copains et vont à l’école en chantant. »
L’inspection d’académie balaie les doutes sur la qualité de l’apprentissage. « En arrivant au collège, les enfants de classe unique affichent sensiblement le même niveau de performance, avec un niveau supérieur d’autonomie. », juge Albert Jaeger, adjoint au directeur académique. Une mère, dont la fille aînée vient d’y passer cinq ans, confirme : « Elle fait partie des huit collégiennes de sa classe à avoir décroché les félicitations. »
Pas question cependant de tout idéaliser. « Le revers de la médaille, c’est que ces enfants évoluent au sein d’une toute petite communauté éducative qui souffre de l’absence de diversité. C’est une grande famille où l’approche socialisante n’est pas la même. Il n’y a pas cette exigence de la vie moderne à les préparer à la complexité du monde qu’ils découvrent au collège, où ils n’ont plus la relation fusionnelle qu’ils avaient à un seul adulte. » L’enseignante reconnaît aussi que le système n’est pas le mieux adapté aux élèves en difficulté : « Dans le cours double où j’enseignais précédemment, je pouvais leur consacrer plus de temps. » Une réticence qui pousse cette maman à s’interroger : « Une classe unique, c’est bien quand cela ne dépasse pas les 15 élèves. 23, c’est trop pour se consacrer à ceux en difficulté. Ils ont du mal à refaire leur retard. C’est sûr que c’est agréable de voir mes filles aller à l’école seules. Mais je trouve qu’elles sont trop en vase clos. Il leur manque une ouverture à l’extérieur. Et le fait qu’elles soient ensemble toute la journée, alors qu’elles n’ont que 18 mois d’écart rend très difficile la différenciation d’éducation. » Seul le prix très élevé du transport pour les scolariser à Delme la retient à Laneuveville. Pour combien de temps ?
Philippe Marque (Le Républicain Lorrain)