Dans le rétroviseur, le Maroc, l’Espagne, aujourd’hui le Luxembourg, Longwy. Abdelaziz Merzougui, coureur hispano-marocain de 29 ans arrivé en Lorraine cet été, poursuit un ultime rêve : se qualifier pour la 3e fois d’affilée pour les Jeux olympiques.
En ce frais mercredi de novembre, à Longwy, c’est jour de test pour Abdelaziz Merzougui, la recrue phare de la toute nouvelle Entente athlétisme-triathlon du Grand Longwy (EATGL). Nike Alphafly aux pieds, débardeur jaune et bleu Vistasol sur les épaules, le coureur hispano-marocain (1,78 m, 59 kg) se prépare à effectuer un 10 km. À bloc. Pour voir ce qu’il a dans le ventre, après ses 30 km avalés en 1h33′ il y a une semaine. Seul, à l’abri des regards en raison du Covid, tiré à vélo par le directeur technique du club, Rachid Habbaz, il boucle la distance en 28’31 ». Soit une allure moyenne de 2’51 » au kilomètre (21 km/h). Costaud !
12h08, direction le quartier Tivoli pour une pause déjeuner bien méritée. «Abdel» partage un succulent tajine fait maison avec Rachid Ben Meziane (52 ans), un ancien coureur de l’équipe universitaire marocaine, vivant aux Pays-Bas et reconverti en organisateur et promoteur de courses à travers le monde. Dès que la situation sanitaire s’améliorera, «RBM» aura la charge de trouver des bonnes courses, hyper relevées, pour Abdel.
15h15, après une séance photo au parcours de santé de Mont-Saint-Martin, Abdel, en tenue camouflage rouge et noire, s’assoit sur un banc. Afin qu’on évoque ensemble, tranquillement, son parcours, son histoire, sa trajectoire.
Enfant de Guelmim
Guelmim, ville du sud-ouest du Maroc, située dans la vallée du Noun, connue pour son célèbre souk de dromadaires et considérée comme la porte du Sahara. C’est là que tout commence pour Abdel. Nous sommes en 1991. Trois frères, une sœur, des parents aimants et rapidement un don flagrant pour la course à pied. Il gagne le cross scolaire en benjamins puis minimes. Il a des rêves plein la tête. Ses modèles se nomment Saïd Aouita et Hicham El Guerrouj. Mais à Guelmim, ses perspectives d’avenir sont minces. Il est jeune, pauvre, loin de tout, à plus de 700 km de la capitale du royaume chérifien, Rabat. Son ami, Ayad Lamdassem, un autre athlète marocain issu de son quartier arrivé plus tôt en Espagne, lui propose de le rejoindre. Abdel a alors 15 ans. Après six mois de réflexion, il décide de franchir le pas.
L’espoir d’une vie meilleure
Un jour de novembre 2006, avec son ami Lahbib, il quitte le Maroc. Il embarque vers 16 h à Sidi Ifni à bord d’une patera. Comprenez une embarcation de fortune où se sont entassées 25 personnes. «Je me rappelle que j’avais donné 300 euros aux passeurs. Les adultes, eux, avaient payé 600 euros. Mais j’étais mineur, frêle… Je ne prenais pas de place, ils ont sûrement eu pitié de moi», souffle-t-il. Le voyage est stressant, harassant, surtout dans la nuit noire, quand au moindre mouvement le bateau tangue dangereusement. Et ce, dans les eaux de l’océan Atlantique, cimetière à ciel ouvert, qui, comme la Méditerranée, a déjà englouti tant de migrants. Trente-six heures de traversée plus tard et après avoir franchi le détroit de Gibraltar, Abdel aperçoit enfin l’île de Lanzarote (Canaries). Autrement dit, le rivage, la terre ferme. C’est la délivrance. Mieux, une victoire. Le début d’une nouvelle vie. «J’étais hyper content. Car, au pire, ils m’emmenaient au centre pour mineurs, mais ils ne pouvaient pas me renvoyer au Maroc.» Avec un billet de 5 euros, il file à la première station-service du coin s’acheter du Coca et du chocolat pour se remplir l’estomac.
Naturalisé espagnol pour son «fort potentiel»
Après une semaine chez le frère de Lahbib à Lanzarote, il passe un coup de fil à celui qu’il considère aujourd’hui «comme un frère» : Ayad Lamdassem. Ce dernier l’encourage à venir en Catalogne. Abdel n’hésite pas et prend un billet d’avion pour Barcelone. Ayad vient le chercher à l’aéroport en voiture et l’héberge chez lui, à Lleida, alors qu’il est sans papiers. Pour régulariser sa situation, Abdel consent, en octobre 2007, à intégrer le centre d’accueil pour primo-arrivants d’Amorebieta. Repéré pour son excellente condition physique, il est transféré au bout d’une semaine au centre pour mineurs Zabaloetxe de Loiu. Ensuite, tout s’enchaîne. Sous l’œil bienveillant du directeur (Carlos Sagardoy) et encadré par Hassan Reddad, son éducateur, il s’entraîne durement (notamment avec le marathonien Hamid Ben Daoud) et devient six mois plus tard, champion d’Espagne cadets du 3 000 m (devant le triathlète Mario Mola). L’année suivante, il remet ça cette fois sur le 1 500 m et en cross. Le 26 mars 2010, en même temps que le basketteur monténégrin Nikola Mirotic (FC Barcelone), il est naturalisé espagnol à la suite d’un décret royal du gouvernement. «La nationalité, on me l’a proposée, j’ai accepté. C’était une chance, une formidable opportunité. Je suis fier d’être espagnol, mais j’ai toujours les deux passeports. Car comme on dit, marocain un jour, marocain toujours !»
Déjà deux participations aux JO à son actif
En juin 2010, alors âgé de 18 ans, il claque – trois mois après sa naturalisation – un énorme 8’33 »29 sur 3 000 m steeple, sa discipline de prédilection, et efface l’un des plus vieux records d’Espagne (celui, junior, d’Alejandro Gómez datant de 1986). La suite, ce sont des séances d’entraînement à Lleida sous la houlette d’Antonio Canovas, des stages en altitude – le plus souvent à Ifrane ou Agadir au Maroc – avec ses compatriotes (Ayad Lamdassem, Khalid El Amri, Sobhi Abdelhak), des titres prestigieux (champion d’Europe de cross juniors en 2010, champion d’Europe espoirs du 3 000 m steeple en 2013), des places d’honneur (4e des championnats du monde juniors du 3 000 m steeple en 2010, 2e des championnats d’Europe espoirs du 3 000 m steeple en 2011, 4e des championnats d’Europe seniors du 3 000 m steeple en 2012 lors de la victoire du Français Mahiedine Mekhissi-Benabbad), des chronos, deux participations aux JO (éliminé en séries du 3 000 m steeple en 2012 et 2016), puis le trou noir ou presque. La faute à une pubalgie tenace, qui associée à une hernie inguinale, le fait souffrir le martyre. «Après Rio, j’étais mort, cassé, complètement H. S.», se souvient Abdel.
Courir blessé, courir quand même
Avec cette blessure qui traîne en longueur, le doute l’envahit, il vit «très, très mal» la situation, se sent quelque peu «abandonné» par sa fédération (RFEA). Courir a toujours été son gagne-pain, mis à part quelques petits boulots par-ci par-là pour boucler les fins de mois. Abdel n’a donc pas le choix. Tant pis pour la douleur, tant pis si le steeple avec les obstacles est une discipline traumatisante, il serrera les dents comme d’hab. En octobre 2018, il enchaîne pourtant, en moins de 24 heures, deux perfs plutôt bluffantes : le 10 km d’El Tast de la Mitja en 28’20 » et le semi-marathon de Valence en 62’48 ». «J’étais inscrit depuis de longs mois à Valence. Mais j’ai appris quelques jours plus tôt qu’à Barcelone (NDLR : Granollers), ils payaient cash : 1 000 euros ! Et c’est justement ce que je devais au propriétaire de mon appartement pour renouveler le bail ou alors me faire opérer. J’ai choisi la première option. Vraiment, ce jour-là, sur la ligne de départ, j’avais faim, j’étais ultra-motivé et j’ai gagné !», rigole-t-il.
Sur quelle distance aux JO de Tokyo ?
Cet été, Rachid Habbaz (39 ans), le tout frais vice-président et directeur technique de l’Entente athlétisme-triathlon du Grand Longwy (EATGL), est invité en stage chez Abdelaziz Merzougui à Barcelone. Ils se sont rencontrés «il y a cinq ans» à Guelmim, d’où ils sont tous deux originaires, au détour d’un footing. Ils ont gardé le contact via les réseaux sociaux. «L’athlé est une petite famille, tout le monde se connaît, glisse Rachid. Jeune, je me suis entraîné avec Bob (Tahri), son frère Karim…» Scotché par les performances sur la piste d’entraînement d’Abdel, remis de sa blessure, il lui propose de rentrer avec lui en voiture. Autrement dit, prendre un nouveau départ. Changer de pays, vivre et s’entraîner à Longwy, une terre de brassage, d’immigration et d’entraînement (Hakim Bagy, Omar Errachidi…). Histoire de relever un nouveau défi : participer aux JO de Tokyo (23 juillet-8 août 2021) sous les couleurs de l’Espagne, soit sur 3 000 m steeple (minima : 8’23 »), soit sur 10 000 m (minima : 27’27 »), et pourquoi pas réussir à entrer en finale.
Son pain quotidien : entraînement et 3*8
«Il m’a fait une confiance aveugle, confie Rachid. Pourtant, je ne lui ai proposé aucune garantie. Je lui ai simplement offert un toit. Ici, il est nourri, logé. Et quand on peut, au club, on l’aide, on le tire à vélo. On a même écumé les boîtes d’intérim au Luxembourg pour lui trouver un boulot. Depuis septembre, il bosse à l’usine chez Famaplast (NDLR : une entreprise, basée à Sanem, qui fabrique et vend des tubes et gaines de protection en polyéthylène) comme manutentionnaire.» Certes les 3*8 sont éprouvants, pas forcément compatibles avec la carrière d’un athlète de haut niveau, mais Abdel, courageux, ne s’en plaint pas. Aujourd’hui, il se montre avant tout reconnaissant envers son employeur «qui (lui) a fait confiance et ses chefs qui se montrent compréhensifs pour qu'(il) s’entraîne bien». Facile vainqueur du Trail urbain de Longwy (TUL) à la mi-septembre sous les yeux émerveillés de ses deux plus grands fans, Kaïs et Naël Godart, l’Espagnol a enchaîné avec une prometteuse 4e place au semi-marathon de Nancy le 4 octobre (65’00 »).
«Je suis convaincu qu’il n’est pas fini»
Pour l’heure, la recrudescence du Covid-19 a jeté le flou sur son programme de compétitions. En tout cas, ce qui semble a priori acté, c’est que le 26 décembre Abdel sera au départ de la plus ancienne course de Catalogne (San Silvestre del Masnou 5 km). Et il aimerait pouvoir enchaîner cinq jours plus tard, le jour de la Saint-Sylvestre, sur la très secrète édition 2020 du 10 km de la Cursa dels Nassos à Barcelone (où il a fini 3e en 2014 et 2015). Mais encore faut-il que l’entreprise où il travaille (Famaplast) veuille bien le libérer, lui faire ce joli cadeau…
Sinon, en parallèle, Abdel s’est mis à la recherche d’un appartement. Pour s’émanciper, retrouver son autonomie, sa liberté et faire venir sa femme Fatima et ses deux enfants – Youssef (7 ans) et Farah (2 ans) – qui lui manquent infiniment.
À 29 ans, Abdel souhaite reprendre le fil d’une carrière prometteuse, forgée à la sueur de ses mollets, mais freinée dans son ascension par les blessures. «C’est sûr, quand on voit son potentiel et son parcours, on se dit qu’il a raté quelque chose, qu’un truc n’a pas bien marché à un moment donné, analyse Rachid. Mais je suis convaincu qu’il n’est pas fini, qu’il peut encore réaliser de très belles choses. C’est peut-être sa dernière année sur piste, mais ce qui est sûr, c’est que c’est un mec qui, à terme, peut faire 2h06′ sur marathon…»
Ismaël Bouchafra-Hennequin
* Depuis 2010, Abdelaziz Merzougui (actuellement toujours licencié en Espagne au ADA Calvià et coaché par Johny Ouriaghli Goyanes) doit déclarer chaque jour, via le système ADAMS (AntiDoping Administration and Management System), un lieu et un créneau précis pour subir d’éventuels contrôles antidopage.
Pour en savoir plus :
– Page Facebook et compte Instagram d’Abdelaziz Merzougui
– Page Facebook de l‘Entente athlétisme-triathlon du Grand Longwy (EATGL)