Incivisme, oubli malheureux… Le mal gagne du terrain et aggrave la tension sur l’offre déjà réduite de certaines spécialités. De nombreux médecins dénoncent le non-respect des rendez-vous fixés à leur cabinet. Nous avons rencontré quelques-uns de ces patients “lapins”.
L’oubli ne fait sourire personne. «Je sais, je m’excuse encore, pardon!», s’emporterait presque Jean. Récemment, ce Messin d’une quarantaine d’années a pris un rendez-vous médical pour sa mère. Enfin, disons plutôt plusieurs rendez-vous. Pour rappel, Doctolib permet de multiplier les chances au tirage. Le quadragénaire a profité des talents de cet entremetteur numérique pour le «bien de maman».
Il s’explique, confus : «Il fallait qu’elle consulte un spécialiste. Mais vous avez vu les délais? On ne parle plus en jours, ni même en semaines, mais en mois pour décrocher un créneau. Alors j’ai pris quatre rendez-vous, en me disant qu’en cas d’annulation, un praticien me contacterait pour avancer le mien.»
Ironie du sort, le fiston tablait sur une attitude responsable de ses semblables pour obtenir son rendez-vous. Comportement qu’il n’a, lui-même, pas adopté. «Je sais, je m’excuse encore, pardon!», ressert l’intéressé. «J’étais vraiment pressé et j’ai finalement trouvé un praticien à… Strasbourg. J’ai annulé trois rendez-vous sur les… quatre. J’ai zappé, est-ce si grave?» Sans jouer les moralisateurs, oui, cela le devient.
Le Luxembourg, solution de repli
«Entre 6 et 10 % des patients ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux», diagnostiquent l’Académie nationale de médecine et le Conseil national de l’Ordre des médecins. Ce qui équivaut à 27 millions de défections par an et ampute, en moyenne, deux heures de consultations hebdomadaires par praticien.
De quoi aggraver ce phénomène dit de désertification médicale, particulièrement prégnant en Lorraine-Nord. Un territoire en perte d’attractivité sur le plan médical et qui souffre, également, de sa proximité avec le Luxembourg. Le témoignage de Stéphanie est, en ce sens, parlant.
L’été dernier, cette Messine s’est vue prescrire une IRM par son médecin traitant. En cause, des douleurs ressenties au bas-ventre et au dos. «J’ai tenté de prendre un rendez-vous rapide sur une plateforme en ligne. Dans le secteur, pas de réponse positive avant six mois!», se désole-t-elle encore aujourd’hui. «J’ai poussé jusqu’à Pont-à-Mousson où l’on me proposait un créneau trois mois plus tard.»
Combattre sur la durée son mal intérieur est finalement devenu insupportable. Comme de nombreux frontaliers, elle s’est donc résolue à consulter un spécialiste de l’imagerie médicale en activité à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. Tout en prenant soin d’annuler son engagement à Pont-à-Mousson, sans doute trop tardivement pour remettre le créneau sur le marché…
«Ce n’est pas correct mais c’est devenu la jungle»
Julien, qui réside à la frontière côté français, est lui aussi coutumier de ce type d’annulation tardive. «Il faut se mettre à notre place», se défend ce jeune père de famille. «Quand tu veux voir un dermato côté français, c’est plus de six mois d’attente dans le meilleur des cas. Au Luxembourg, t’as de la place dans le mois. Même si je consulte au Grand-Duché, je sécurise toujours mon rendez-vous à Thionville, au cas où. Je sais, ce n’est pas correct vis-à-vis des autres mais c’est devenu la jungle.»
Pour ramener de l’ordre et soigner son image de marque, Doctolib a développé de nouvelles fonctionnalités. Outre la multiplication des rappels de rendez-vous pour réduire les oublis, une option permettrait désormais aux médecins de bloquer les patients les moins rigoureux. Alors, Jean? «Je sais, je m’excuse encore, pardon!»
Jean-Michel Cavalli
(Le Républicain Lorrain)