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La Grande Région : un colosse aux pieds d’argile


Le Kirchberg, l'aimant le plus puissant de la Grande Région (Photo d'illustration : Alain Rischard).

Le 17e sommet de la Grande Région se tient mercredi, en visioconférence. À cette occasion, les offices statistiques transfrontaliers publient «La Grande Région en chiffres». Cet espace de 65 400 km2 pèse l’équivalent de 2,5% du PIB de l’Union européenne ! Mais la Grande Région, sans gouvernance politique affirmée, sans budget propre, montre régulièrement des limites pour s’organiser avec efficacité.

Cinq territoires (Wallonie, Lorraine, Luxembourg, Sarre, Rhénanie-Palatinat), 11,7 millions d’habitants et un PIB de 412 milliards d’euros : voici les chiffres marquants communiqués avant le 17e sommet de l’institution, qui rassemble les exécutifs de chaque région, sans délégation de pouvoir.

La Grande Région compte environ 5,3 millions de personnes ayant un emploi, dont 75% travaillent dans le secteur tertiaire, 17% dans l’industrie, 7% dans la construction et environ 1% dans l’agriculture.

Le phénomène du travail transfrontalier est une caractéristique de cet espace économique interrégional. Chaque jour, plus de 250 000 travailleurs traversent les frontières à l’intérieur de la Grande Région, principalement vers le Grand-Duché (plus de 210 000 frontaliers à lui seul).

Gagner en visibilité et en efficacité

Il ne faut pas confondre la Grande Région, en tant que sommet des exécutifs, avec l’Institut de la Grande Région (IGR), qui est un laboratoire d’idées sur cet espace transfrontalier.

À l’occasion de ce 17e sommet, le président de l’IGR, Roger Cayzelle, estime d’ailleurs que «la crise qui a frappé l’espace transfrontalier doit être l’occasion d’un approfondissement de sa construction pour une meilleure efficacité». Le président de l’IGR déplore : «Malgré les efforts de chacun, la vision stratégique du Sommet est trop peu visible et trop peu lisible pour les citoyens, alors qu’un Schéma de développement territorial de la Grande Région est en cours de finalisation.»

L’IGR souligne par ailleurs qu’il est temps de «mettre en place au niveau de chaque versant de la Grande Région une instance de liaison et de coordination entre les acteurs du territoire». Dans quel but ? Clarifier enfin l’ambition transfrontalière de chaque versant. Il faudrait être enfin capable de mieux définir des stratégies communes par thématiques, souhaite l’IGR : la plus symbolique du moment étant la sécurité sanitaire, alors que le manque de coordination a été notoire lors de la première vague. Roger Cayzelle estime que ce savoir-faire par thématiques pourrait ensuite être dupliqué sur d’autres volets : «La digitalisation, la valeur ajoutée sociale, la mobilité, la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de l’environnement.»

Quels moyens d’actions, à quelle échelle ?

De son côté, le laboratoire d’idées Au-delà des Frontières (ADF), qui planche sur une métropolisation plus vertueuse du Luxembourg dans l’espace transfrontalier, a récemment rappelé que «seules 100 communes (luxembourgeoises) sur 2000 communes de résidence des actifs (où vivent tous les frontaliers) bénéficient du fruit de l’impôt versé par tous au Grand-Duché». Ce qui est un frein pour mettre en pratique toutes les politiques souhaitées. «Peut-on projeter une trajectoire métropolitaine transfrontalière à l’horizon de 2050, sans régler au préalable la question de la capacité à agir des territoires transfrontaliers métropolisés ?», questionne ADF, dans une contribution à l’initiative Luxembourg in Transition. Nos confrères du Wort s’interrogent également dans le même sens, dans l’éditorial de ce mardi.

Dans une interview de rentrée au Quotidien, Charles-Ferdinand Nothomb, vice-président du Cercle européen Pierre-Werner (laboratoire d’idées transfrontalier belge), estimait lui aussi qu’une nouvelle impulsion devait être donnée avec la crise. Mais en partant d’un travail de terrain basé sur les entreprises. «Précédant les négociations entre États, appelées ou réclamées par la société civile dans ses diverses dimensions, c’est le secteur privé qui doit prendre l’initiative dans l’espace transfrontalier. Car le point de départ, et le moteur de la relation, est l’économie.»

Une dernière question se pose enfin assez souvent : l’espace de la Grande Région est-il vraiment calibré à la hauteur du bassin de vie réel qui se constitue autour du moteur luxembourgeois ? On peut en douter, quand on sait que Liège ou Cologne se retrouvent embarquées dans les schémas, alors que le rapport avec un «Grand Luxembourg» large à 1,4 million d’habitants, celui tracé par le laboratoire d’idées luxembourgeois Idéa, est plutôt lointain.

Hubert Gamelon