Chaque année, 800 000 personnes visitent la cathédrale de Metz. Elles viennent surtout pour Chagall. Dans une chapelle à l’entrée, elles admirent cinq baies aux couleurs vives et aux motifs géométriques. Sans forcément savoir que c’est l’œuvre de Jacques Villon,
La première visite à la cathédrale de Metz prend quasiment toujours le même chemin. Passé le portail de la Vierge, nos yeux s’élèvent vers les voûtes suspendues à 42 mètres au-dessus du sol. Puis on se dirige vers la droite sans forcément remarquer les vitraux abstraits de Roger Bissière placés, là-haut, dans le tympan Sud. Et on s’arrête, subjugué, dans la chapelle du Saint-Sacrement, tapissée de cinq baies aux couleurs vives et aux formes géométriques. Les flashs crépitent car on veut rapporter «du Chagall» dans ses bagages. «En réalité, il s’agit de Jacques Villon», appuie le critique d’art et spécialiste des vitraux de la cathédrale, Christian Schmitt. «Le premier est un grand coloriste, le second a une proposition plus déconstruite, dépouillée, propre au cubisme.»
Derrière ce travail lumineux, porté par cinq fenêtres du côté sud de l’édifice, se cache un artiste discret, issu d’une famille à la grande personnalité : «Son vrai nom est Gaston Émile Duchamp. Il a toujours été fidèle au cubisme alors que son frère cadet, Marcel Duchamp, s’en est échappé», ne serait-ce qu’avec La Fontaine (1917), la fameuse pissotière qui fit scandale en son temps.
Fernand Léger et Jean Cocteau recalés
Jacques Villon a été le premier grand maître de l’après-guerre à «entrer» dans la cathédrale de Metz : «Les vitraux avaient beaucoup souffert avec les bombardements de 1944», rapporte Christian Schmitt. L’architecte en chef des Monuments historiques Robert Renard demanda à son assistant, Jean Dedieu, de lui trouver des artistes de son temps. Un maître verrier (Gaudin) avait réalisé les parties hautes de la cathédrale en 1959. «Des pastiches du passé!», avait rejeté l’artiste René Dürrbach dans une discussion avec Jean Dedieu. «Mieux vaut faire appel à des artistes contemporains», avait-il poursuivi en lui donnant l’adresse du peintre cubiste…
C’est ainsi que les vitraux de Villon ont pris place à Saint-Étienne en 1957. Avant ceux de Chagall (en 1960 pour les «bleus» et en 1963 pour les «jaunes») et de Bissière (1960). «D’autres artistes ont été recalés : Fernand Léger, parce qu’il était au Parti communiste, et Jean Cocteau, pour ses mœurs. Quant à Picasso, il avait trop de commandes.»
Un langage spirituel à décrypter
De son côté, Jacques Villon a répondu à une commande très précise du chapitre de la cathédrale avec cinq scènes : la Pâque (ou l’Exode), la Cène, la crucifixion, les noces de Cana et le rocher de l’Horeb. «Dans chacun des tableaux, Villon a inséré des histoires ou des symboles qui n’étaient pas prévus», relève le critique d’art. «Par exemple, on observera la position de la lance dans la crucifixion où le point de vue (le Christ, le sang) rejoint le point de fuite (le spectateur).» On remarquera aussi le «nappage rouge dans la première baie qui signifie le massacre des enfants d’Égypte, et cette même couleur dans la cinquième baie pour le massacre des enfants de Bethléem par Hérode : la boucle est bouclée.»
Ce langage spirituel est décrypté dans une exposition proposée par l’abbé Loïc Bonisoli et installée jusqu’au 31 octobre dans la chapelle Notre-Dame-la-Ronde (la première chapelle, à droite après l’entrée). Ces panneaux permettront d’introduire une grande exposition dédiée à «Jacques Villon, l’aîné des Duchamp à Metz» à la porte des Allemands, du 28 novembre prochain au 1er février 2026, sous le commissariat de Christian Schmitt. Une pièce de théâtre, Quand l’art conduit à la grâce, sera donnée à la cathédrale le 29 novembre, à 20 h.