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Hausses du prix du tabac : les buralistes étouffent à la frontière


Les week-ends, aux stations de Dudelange, les premières après la frontière, on croise d’ailleurs une majorité de véhicules immatriculés en France, et pas que des 57. (photo RL/Julio Pelaez)

Le prix du tabac en France va connaître deux hausses en 2023 et 2024. De nombreux buralistes doivent donc se diversifier. Notamment ceux proches du Luxembourg.

Il n’a pas eu besoin de chercher longtemps. À la veille de notre rendez-vous, fixé dans son commerce, dans la commune de Moutiers, Jean-François Lukan avait pris le temps de surfer sur son portable pour s’enquérir des projets gouvernementaux en matière de prix du tabac. Du coup, pas besoin de remonter bien loin dans l’historique. «Cette fois, on nous dit que ça va augmenter en raison de l’inflation. Mais à ce que je sache, les producteurs de tabac n’ont pas demandé d’augmentation pour financer le transport ou la main-d’œuvre…»

Voilà neuf ans que cet ancien moniteur d’auto-école a éteint le contact de sa voiture pour devenir buraliste. Des hausses du prix du paquet de clopes, Jeff, comme on le surnomme, en a donc vécu plus d’une. Celles qui se profilent – 50 centimes en 2023, 35 en 2024 – ne feront finalement qu’étoffer la liste.

«C’est à chaque fois la même chose, on nous dit, face à la baisse des ventes de tabac, diversifiez votre activité. Mais c’est imprécis. Baisse des ventes ne signifie pas baisse de la consommation. Ici, avec la présence du Luxembourg, on est bien placé pour en parler. Les gens vont se fournir là-bas. Et je ne parle pas de la contrebande.»

«Un fumeur reste un fumeur»

Derrière ce constat, qui ne date pas d’hier, le professionnel comprend les fumeurs qui passent de l’autre côté de la frontière pour trouver leur bonheur nicotiné. «Le prix du paquet a beau augmenter, un fumeur reste un fumeur. On n’arrête pas comme ça, du jour au lendemain, ou très rarement. Alors les gens s’adaptent. Et au lieu de venir tous les deux trois jours dans un bureau de tabac en France, ils vont se ravitailler au Lux et ne viennent ici que pour se dépanner.»

À quelques kilomètres de là, un buraliste installé à Jarny avance ses chiffres, sous couvert d’anonymat : «Les ventes ont baissé de 20 à 30 % depuis 2005.» Lui aussi a diversifié son offre pour compenser. Vente de jeux à gratter, presse, bijoux fantaisie ou encore remise de colis. «Mais pour ne citer que ce dernier cas, il faut savoir qu’il y a cinq ans, on touchait 60 centimes par colis. Aujourd’hui, c’est 30 centimes maxi. Ça a fondu comme neige au soleil.»

Dans la boutique de Jean-François Lukan, on trouve aussi tous ces produits «annexes», articles de presse, carterie, produits postaux, cigarettes électroniques. D’ici quelque temps, d’autres produits y seront aussi disponibles. «Je vais faire des travaux d’agrandissement.»

Dans ce contexte, le projet témoigne d’une motivation encore intacte. «J’aime mon métier, le contact avec les gens. Le problème, c’est que certains n’arrivent plus à en vivre. D’où les fermetures de bureaux de tabac qui se multiplient…» Les dernières études en dénombrent environ 23 000. «La crainte, c’est qu’un jour il n’y en ait plus assez pour fournir les besoins et que nous perdions le monopole.»

Deux fois moins cher au Luxembourg

Si les frontaliers français ne viennent plus au Luxembourg pour y faire le plein de carburant, ils continuent en revanche d’y acheter leur tabac. Et ce n’est pas l’annonce du gouvernement qui va inverser la tendance. Le paquet de blondes le plus vendu en France coûtera deux fois plus cher qu’au Luxembourg (11 euros contre 5,50 euros). Plus pragmatiquement, pour le prix d’une cartouche achetée en France, vous en recevrez une «gratuite» au Luxembourg. Pas de quoi inciter à baisser sa consommation…

Les week-ends, aux stations de Dudelange, les premières après la frontière, on croise d’ailleurs une majorité de véhicules immatriculés en France, et pas que des 57. Comme Jennifer, venue de Nancy avec une amie. «On a pris trois pots de 300 g de tabac. On est au-dessus de la norme autorisée, mais on aime vivre dangereusement», plaisante-t-elle.

Pour rappel, le Code général des impôts a fixé un seuil autorisé pour l’importation, par personne, à une cartouche, 50 cigares, 100 cigarillos et 250 g de tabac à rouler. Au-delà, le transport des tabacs est réputé à des fins commerciales par l’administration des douanes et vous vous exposez au paiement de droits et taxes ainsi qu’à des sanctions. Ces trois amis venus d’un petit village des Vosges, en achetant six pots de 250 g de tabac à rouler, savent qu’ils ne sont pas dans les clous. «Bien sûr, on a dû faire deux heures de route, mais ça vaut largement le coup», argumente la femme du groupe. «Je n’ai pas l’impression d’être une trafiquante, d’autant plus que ce n’est pas pour revendre…»