Anna et ses trois enfants se sont réfugiés chez son père à l’écart de la ville. « Il y avait des attaques de tous les côtés. » Sa sœur Karyna et ses deux petits sont également contraints d’abandonner leur village, Eskhar, pris d’assaut. « Elle ne voulait pas quitter son mari. Son bébé était malade, il n’y avait plus rien dans les magasins », rapporte sa cousine, restée en contact permanent avec sa famille. Une fois réunies, Anna et Karyna se décident finalement à partir.
Quatre jours sans dormir
Le départ est douloureux. « Elles l’ont fait pour leurs enfants. » Elles profitent d’un couloir protégé par l’armée ukrainienne pour rejoindre la gare de Kharkiv. Les ruines, les chars russes, les corps sans vie longent la route. Les deux sœurs grimpent dans un train, en direction de Lviv, pour gagner la frontière polonaise. Elles resteront ensuite bloquées dans un bus pendant 24 heures avant de prendre un autre train. Pas question de s’arrêter.
Le périple s’étire sur quatre jours avant de retrouver leur cousine Tatiana venue les chercher avec son mari en Pologne. « Elles étaient épuisées, elles n’ont pas dormi », raconte Tatiana. La jeune maman installée en France depuis onze ans peine à masquer son émotion.
Anna, Karyna et les enfants sont restés chez elle pendant près d’un mois. Une fois le parcours administratif balisé, les filles ont entamé des démarches pour demander un logement. L’association Athenes à Thionville leur met à disposition un appartement meublé depuis le 12 avril et assure leur accompagnement. « Nous avons reçu de l’aide tout de suite », salue Tatiana. Amis, voisins, anonymes ont participé à la reconstruction des deux sœurs. « Lorsque mon employeur, Leclerc à Fameck, a appris que je partais les chercher, il a voulu payer le trajet, la location du minibus. »
Reconnaissantes
Anna, 31 ans, et Karyna, 29 ans, touchent des aides de l’État. Les enfants, Victoria 13 ans, Danil 6 ans, Artem 8 ans, sont scolarisés dans l’école du quartier. Les deux bébés, Nikita et David, désormais âgés de 14 et 11 mois, ont une place en crèche. Les deux mamans refusent de tourner en rond dans l’appartement. Elles sont inscrites à Pôle emploi. Elles prennent des cours de français. Anna travaille déjà comme femme de ménage. Karyna a une formation de pâtissière, elle était employée dans une boulangerie en Ukraine. Elle vise un poste en restauration scolaire à la rentrée.
Impossible toutefois de se projeter plus loin. « Elles sont obligées de vivre au jour le jour », traduit Tatiana. Karyna veut retrouver son mari qu’elle appelle chaque jour. Anna sait que son quartier est encore bombardé. Leurs appartements respectifs n’ont pas été détruits, aux dernières nouvelles. « Je me rends compte à quel point j’aime mon pays », lance Anna, en russe. « Oui, nous parlons russe », précise Tatiana.
La guerre et le chaos qu’elle génère demeurent incompréhensibles pour ces femmes en exil. Leur force impressionne. Leurs visages fermés s’ouvrent au fil de la conversation. Elles tiennent surtout à remercier ceux qui les ont accueillies, ceux qui les aident, les soutiennent : l’association Athenes , ses intervenants, et tous les autres. « Elles sont reconnaissantes », partage Tatiana.
L’association Athenes mobilisée auprès des réfugiés : « Il a fallu mettre 200 personnes à l’abri »
L’association thionvilloise Athenes accompagne une quinzaine d’Ukrainiens exilés. Elle gère l’hébergement de ces familles dans quatre appartements sociaux qu’elle loue : un à Thionville, trois à Yutz. Athenes s’est occupée de leur installation, assure une aide administrative, suit l’insertion professionnelle des parents et la scolarisation des enfants.
L’urgence
L’association a dû s’adapter. Elle est mobilisée depuis près de six mois. Dès le début de la guerre, elle a géré l’urgence, le flux de réfugiés. « Il a fallu mettre près de 200 personnes à l’abri », rappelle Laetitia Barbate, coordinatrice sociale du pôle demandeurs d’asile auprès d’Athenes. Les familles ont été orientées par le 115, hébergées dans deux hôtels à Thionville et dans des appartements loués par l’association.
Ces personnes sont restées une à deux semaines, avant de trouver des solutions de logements pérennes. Athenes a garanti leur accompagnement social. Mairie, centre communal d’actions sociales, associations, bénévoles : tout un réseau s’est organisé.
La stabilité
En mai, les hôtels se sont vidés. « Le dispositif d’accueil s’est organisé et s’est déplacé vers la Moselle Est », précise la coordinatrice. Athenes continue sa mission auprès des familles restées sur le secteur. « Notre travail est de les stabiliser. Leur vulnérabilité n’est pas seulement liée à la langue. Elle est aussi psychologique. Une de nos psychologues est formée au traumatisme de guerre. »