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Grains de Celtes dans le sol lorrain


Plusieurs squelettes, remontant aux environs des IVe ou Ve siècles avant JC, sont en cours d'exhumation à Marsal. (Photo AFP)

En Moselle, le plus grand site celte d’extraction du sel livre peu à peu ses secrets.

Il y a 2 500 ans, la vallée de la Seille en Moselle, aujourd’hui paisible et champêtre, grouillait d’activité : une exposition locale retrace la vie du plus important centre d’exploitation du sel à l’époque celtique en Europe. Un débris de barre de fourneau par-ci, un fragment de cale de moule à sel par-là : aux abords du village de Marsal, entre vergers et pâturages bucoliques, les déchets en terre cuite des anciens ateliers de sel de l’âge du fer affleurent toujours, rougeâtres, en surface.

«Les ateliers s’étendaient sur 10 km le long de la Seille, en discontinu. Les accumulations de déchets de production forment des sortes de terrils dans le sol, jusqu’à 12 mètres de hauteur», explique Laurent Olivier, conservateur en chef du patrimoine en charge du département d’archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye (à l’ouest de Paris).

Le volume total de ces déchets, appelés «briquetages», est estimé à environ 3,5 millions de mètres cube, «soit une fois et demie la pyramide de Khéops», souligne encore Laurent Olivier, qui dirige des fouilles à Marsal depuis 2001. La production se faisait à une échelle «quasi industrielle» dans la vallée, avec des milliers de tonnes de sel par an aux VIe et Ve siècles avant JC, puis entre 10 000 et 20 000 tonnes à l’époque gauloise, grâce à des techniques améliorées, selon l’archéologue.

Secrets de squelettes

Entre 2 000 et 5 000 personnes y travaillaient en permanence, évalue-t-il. Le site est «un formidable livre ouvert» sur la société celte, mais aussi sur les conséquences environnementales d’une surexploitation industrielle, selon lui. Car le déboisement massif pour chauffer les fourneaux et l’accumulation des déchets dans la Seille ont engendré une forte érosion, rendant la zone marécageuse, peut-être dès l’époque romaine.

L’exposition «L’or blanc des Celtes» au musée départemental du Sel de Marsal, qui a vocation à devenir permanente, présente une centaine d’objets retrouvés dans ces poubelles de la protohistoire, ainsi que des prêts de musées d’Allemagne et de Hallstatt, en Autriche, célèbre pour sa mine de sel de l’époque celtique. Dans la vallée de la Seille, le sel provenait de sources d’eau saline. La saumure était portée à saturation, puis chauffée. Le voile de sel obtenu était versé dans des moules, des pots en terre poreuse, chauffés à leur tour pour former des pains à sel.

De remarquables témoignages de cette activité ont été retrouvés : les restes d’un baquet à saumure en bois, un bout de corde tressée, des fragments d’une louche. Quelques bijoux aussi ont été retrouvés. Des parures féminines, comme un bracelet en bronze et un anneau en roche noire, mais aussi des objets venus de loin : de l’or, de l’ambre de la Baltique, des branches de corail de la Méditerranée, ou encore une délicate fibule grecque de Sicile…

«Celui qui possédait le sel, indispensable à la conservation de la nourriture, était comme le roi du pétrole» et pouvait échanger sa production contre des produits exotiques et luxueux, rappelle Laurent Olivier. Mais tous les sauniers n’étaient pas fortunés. La découverte l’été dernier à Marsal de huit squelettes humains du IVe siècle avant JC, entassés sans cérémonie «comme des bêtes crevées», semble attester de l’existence d’une «caste» inférieure, affirme Laurent Olivier, même si d’autres scientifiques penchent pour une interprétation rituelle de ces dépôts de corps dans des silos à grains, déjà observés sur d’autres sites celtiques.

Quatre de ces squelettes sont actuellement en cours d’analyse, révélant des bribes du mystère. «C’étaient des hommes qui ont eu une vie très dure : certains avaient des fractures aux mains, aux côtés, tantôt réparées, tantôt non. Tous les quatre avaient des déformations rares de la voûte plantaire, apparemment liées à des ports de charges très lourdes», explique l’archéologue.

La présence d’un enfant parmi les corps pourrait indiquer que leur rang social était héréditaire, selon lui. Et grâce aux taux de strontium comparés dans les dents et dans les os, on sait que deux d’entre eux étaient originaires de Marsal, deux autres non : des prisonniers de guerre ? Tout reste encore ouvert.

Le Quotidien