À Fontoy, le café Émilie Marchepy a fermé dans les années 1940. Pourtant, il lui arrivait encore d’accueillir des clients, de temps en temps. Tous les cinq ans, un héritier ouvrait les portes de l’établissement pour ne pas perdre sa licence IV…
C’est un voyage dans le temps. Une fois le seuil de la porte franchi, rien ne porte plus la marque de la modernité. L’objet le plus récent est sans doute ce poêle à fioul, qui trône au centre de la pièce. Des cendriers d’un autre temps ornent les quelques tables. Sur la tapisserie jaunie, une photo d’époque rappelle qu’il fut un temps où l’on brassait de la bière à Fontoy. Au fond, le comptoir, sobre comme l’autel d’une chapelle, cache encore quelques trésors. Comme ces cartes à jouer que personne n’a plus rebattues depuis des lustres.
Tout est là. Rien n’a bougé. Il n’y a guère que le fronton du café « Veuve Emilie Marchepy » qui a disparu. C’était l’arrière-grand-mère de Pierre Adolph. Cet Alsacien est l’un des derniers héritiers du café. Son arrière-grand-mère a lancé l’activité au début du XXe siècle. Avant ça, le lieu a brièvement abrité un bureau de poste.
« À sa mort, mes grands-parents ont fait tourner le bistrot. Surtout ma grand-mère Esther. Puis ma mère y a travaillé jusqu’à ses 17 ou 18 ans. C’est là qu’elle a rencontré mon père », raconte ce médecin à la retraite. Le commerce a accueilli les clients jusqu’à la guerre. Usée par les années, Esther Marchepy a finalement fermé le café dans les années 1940. « Mon père travaillait, personne n’a repris le flambeau. »
Personne, sauf Maurice Silberer, l’oncle de Pierre Adolph. Ce Fenschois, ancien Malgré-Nous, n’a pas pu se résoudre à vendre la maison familiale, située au-dessus du bar. Hors de question de céder le patrimoine familial. « Il avait tendance à tout conserver. Il ne jetait rien. Il ne voulait rien vendre. » Et surtout pas la sacro-sainte licence IV, numéro 1393, qui conférait au café le droit de vendre tout type d’alcool. Encore fallait-il maintenir une activité régulière, condition sine qua non pour conserver la licence…
Les fantômes devront trinquer ailleurs…
Le café a donc ouvert en toute confidentialité une fois par an, pendant des années, puis une fois tous les cinq ans lorsque la réglementation s’est assouplie en 1995. « Les amis venaient, ils passaient un moment là. La gendarmerie venait constater qu’il y avait toujours une activité, c’était bon enfant », rapporte Pierre Adolph.
Le café-fantôme a vécu comme ça pendant plus de quatre-vingts ans. Jusqu’à cette année… Le 1er janvier, Maurice Silberer s’est éteint à l’âge de 99 ans. C’était le doyen de la commune. Il n’avait ni femme, ni enfants. Les deux seuls héritiers sont Pierre Adolph et sa sœur. Ils habitent tous les deux en Alsace.
« Nous allons tout vendre. Le mobilier, la maison, et la Licence bien sûr, souffle l’Alsacien. Il n’y a plus de raison pour que l’on garde tout ça. » Depuis 2016, la licence peut être vendue dans le périmètre de la région Grand-Est.
Pierre Adolph avait un temps pensé ouvrir une dernière fois le bistrot, au mois d’avril. Mais la législation en vigueur ne l’impose plus. La porte restera close pour de bon. Les fantômes errants du café devront désormais trinquer ailleurs…
Damien Golini (Le Républicain Lorrain)