Plus de 20 ans après sa fermeture, Bataville, l’ancienne cité-usine du fabricant de chaussures Bata en Lorraine, cherche toujours à rebondir et place désormais ses espoirs dans un projet de production de laine feutrée.
De la départementale qui traverse le pays des étangs, une zone forestière isolée du sud de la Moselle, on aperçoit l’ocre des bâtiments percer à travers les arbres : 24 hectares, à cheval sur les communes de Moussey et Réchicourt-le-Château, sur lesquels le Tchèque Tomas Bata, patron paternaliste, a jeté son dévolu.
Il y a édifié dans les années 1930 quatre bâtiments monumentaux aux toits plats, dans le style épuré du Bauhaus. Géants de briques et de verre, hauts de cinq niveaux, ils bordent l’allée centrale du site.
L’ensemble impressionne, mais, une fois franchi le portail rouillé frappé du « B » de la marque qui voulait « chausser le monde », les stigmates sont évidents : peinture écaillée, lierre sur les murs, bâtiments annexes en déshérence, sols défoncés jonchés d’objets abandonnés…
En 2014, la cantine et un bâtiment d’usine, rachetés par un privé, ont été classés Monuments historiques. L’ensemble a ensuite été labellisé Patrimoine du XXe siècle. Un collectif d’artistes y tient également un festival tous les deux ans.
Cent salariés, contre 2 500 à la grande époque
« Au total, une centaine de salariés », explique Roland Klein, président de la communauté de communes de Sarrebourg-Moselle Sud. Loin des 2 500 qu’a comptés Bataville à sa belle époque. Au moment de sa fermeture, en 2001, 840 personnes y travaillaient encore.
Depuis, Bataville est quelque part « entre la vie et la mort. On se bat, mais on n’aboutit à rien », soupire Michel Thomas, élu à la mairie de Réchicourt, « 35 ans chez Bata ».
Plusieurs études ou projets ont tenté d’apporter un nouveau souffle à ce patrimoine industriel unique en France, en vain. Les implantations de « studios de cinéma » et d’un centre de « formation pour cascadeurs » ont été évoquées, se souvient Jean-Paul Kohler, 80 ans, ex-cadre chez Bata.
« Utopique », tranche-t-il : Bataville était « une belle histoire. Malheureusement, il n’y a pas toujours une fin heureuse… » Il faut « trouver l’étincelle qui va redonner de nouveau de l’activité », concède Roland Klein.
Laine feutrée : un projet qui tarde à démarrer
Une « étincelle » qui pourrait venir d’un projet 100 % local : lancée il y a quelques années, une coopérative de production de laine feutrée pourrait servir de « locomotive » au site où un bâtiment lui sera dévolu, explique Stéphane Ermann, maire de Réchicourt-le-Château et éleveur d’ovins.
Il est à la tête de Mos-Laine, qui rassemble 90 éleveurs du Grand Est. Chaque année, la Lorraine produit 365 tonnes de laine, exportée à bas prix en Asie pour y être transformée. Une relocalisation de la filière profiterait assurément aux éleveurs du cru, analyse-t-il.
Au total, 5,6 millions d’euros – dont 4,1 millions d’argent public – vont être injectés dans le projet. Une unité de lavage de la laine pourrait ensuite lui être adjointe, avant le développement d’une activité autour du cuir.
La laine génèrera « cinq ou six emplois », selon Roland Klein. Quant au cuir, « on sera plus sur de la réinsertion ». Pas de quoi redonner dans l’immédiat son éclat à Bataville. Mais indirectement, c’est contribuer à « maintenir localement les éleveurs et leur activité ».
La carte du tourisme
Les débouchés existent, assure Stéphane Ermann, notamment l’isolation des bâtiments avec la laine, un procédé actuellement appliqué à la mairie de Réchicourt.
Des machines ont été livrées, mais la ligne de production peine à voir le jour : la rénovation du bâtiment qui doit la recevoir n’a pas débuté, s’irrite l’éleveur.
La vente du bâtiment, détenu par un autre privé, a pris du retard et il faudra le rénover et le dépolluer, temporise Roland Klein, qui table sur un lancement « imminent ». « L’idée, c’est de reprendre la main sur le site », explique-t-il, tout en écartant un rachat global par la collectivité.
Il penche plutôt pour la création d’une association fédérant les différents propriétaires afin d’arriver à une gestion cohérente « des extérieurs et des bâtiments ».
Autre carte à jouer pour Bataville : le tourisme, avec un site susceptible d’attirer un « certain public », curieux du passé industriel, avance-t-il. « Peut-être que grâce à des petites choses comme ça, on va arriver à redynamiser le site », veut croire Hervé Morque, maire de Moussey. La fin de Bata, « ça a fait un énorme vide ».