Leurs bruyants claquements de bec et leurs nids imposants font partie du paysage : en Alsace, les cigognes blanches n’ont jamais été aussi nombreuses, selon un comptage national en cours.
Jumelles sur les yeux, Yves Muller scrute minutieusement les nids perchés sur un mât, un arbre ou un toit. « Un adulte avec trois jeunes », « un nid supplémentaire que je n’avais pas vu »…, dicte-t-il, avant de rentrer ces éléments dans une base de données localisant précisément chaque nid. « Le but est de connaître exactement la population française de cigognes blanches et sa répartition, car si on veut protéger une espèce, il faut connaître ses effectifs », explique le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Alsace.
Depuis plusieurs semaines, des centaines d’observateurs bénévoles examinent nids et couvées de cigogneaux.
Commune d’un millier d’habitants dans le parc naturel des Vosges du Nord, Neuwiller-lès-Saverne compte au moins trente nids. Certains atteignent plusieurs centaines de kilos et un mètre voire deux de haut. Chaque année les couples de cigognes ajoutent une épaisseur de branchages.
Jeune retraité et photographe amateur, Dominique se souvient avoir vu un premier couple d’oiseaux s’installer à Neuwiller-lès-Saverne « au début des années 1990 ». « Maintenant toutes les places sont occupées, c’est la crise du logement », plaisante celui qui a pris des milliers de photos de ses « voisines ».
Pas moins de 1 200 nids
Le recensement effectué par la LPO cette année est « le premier comptage exhaustif au niveau national » pour cette espèce, explique Yves Muller. Si l’oiseau noir et blanc au bec rouge est présent depuis au moins le Moyen-Âge en Alsace et en est devenu un symbole, des cigognes blanches venues d’Espagne se sont aussi installées en nombre sur la façade atlantique du pays, en Charente-Maritime, en Gironde, ou dans le Morbihan.
Les données finales de ce comptage devraient être connues cet hiver. D’ores et déjà, une première estimation chiffre la population alsacienne à « 1 200 nids occupés », avec, pour chacun, un couple d’oiseaux et jusqu’à cinq jeunes qui prendront leur envol vers la mi-juin. Une telle population est du jamais vu, alors que la cigogne a frôlé l’extinction en Alsace. En 1974, Haut-Rhin et Bas-Rhin ne comptaient plus que neuf nids, alors qu’il y avait encore 145 couples en 1960. Une très forte mortalité intervenait pendant la migration hivernale. Les cigognes étaient chassées, la sécheresse dans le Sahel les empêchait de trouver suffisamment de nourriture et les lignes électriques les fauchaient en plein vol.
Reproduction en captivité
L’Alsace se lance alors dans des opérations de réintroduction de son oiseau fétiche, avec des « enclos de repeuplement », dans lesquels sont élevées des cigognes en captivité, perdant en quelques années leur instinct migratoire. Les cigogneaux relâchés dans la nature ont permis à l’espèce de prospérer de nouveau rapidement. Quelque 79 couples sont dénombrés en 1990, puis 565 en 2011 et 788 en 2015.
« On a sauvé les cigognes d’Alsace, maintenant on laisse la population évoluer librement », explique Yves Muller, régulièrement interrompu par les claquements de bec d’une cigogne saluant son conjoint de retour dans le nid avant de régurgiter la nourriture rapportée aux cigogneaux.
Si la cigogne blanche reste une espèce protégée, la LPO plaide pour que l’oiseau ne soit plus nourri artificiellement et que la population se régule naturellement en fonction de la nourriture trouvée dans les zones humides.
Le sauvetage de la cigogne blanche a reposé sur une « spécificité » de l’espèce, celle de bien se reproduire en captivité.
« On ne peut pas faire avec tous les oiseaux ce qu’on a réussi avec la cigogne », regrette Yves Muller. En Alsace, le grand tétras ou le courlis cendré sont en voie d’extinction.
LQ/AFP