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En Alsace, journal d’un médecin de campagne au temps du Covid-19


Avec une patientèle de 3 000 personnes étalée sur une vingtaine de villages alsaciens, des consultations en cabinet et des visites à domicile, le cabinet du Dr Ponton ne chôme pas. (photo DR)

« On est dans le devoir, l’empathie et le soin » : médecin de campagne dans le sud de l’Alsace, Jérôme Ponton avale les kilomètres pour se rendre au chevet de ses patients contaminés par le coronavirus et assume « en première ligne » sa mission de soignant.

Combinaison et masque FFP2 sur le visage, flacon de gel hydroalcoolique sur la table, le généraliste examine sa patiente : depuis une dizaine de jours, Yvette Forster, 72 ans, est dans la phase dure de la maladie. Ce mardi après-midi, le Dr Ponton s’est rendu à son domicile à Sondersdorf, village d’environ 300 âmes dans le Haut-Rhin, l’un des foyers majeurs du coronavirus en France. « Je suis fatiguée, j’ai perdu 6 kilos », explique la retraitée, qui s’interroge : « ça dure longtemps cette maladie? » « Ça n’est pas établi mais ça va durer un petit peu encore », lui répond doucement le médecin. « Le mot d’ordre, c’est le repos », conseille-t-il encore, avant de prendre congé et poursuivre sa tournée.

Avec le confinement et des patients cloués au lit, « ces visites sont nécessaires », explique ce jeune généraliste de 35 ans, installé depuis 2017 à Vieux-Ferrette, commune de 700 habitants où il exerce dans un cabinet avec deux autres médecins, dont sa compagne, et quatre infirmières. « Un retour aux sources » pour ce trentenaire formé à Strasbourg mais originaire d’Altkirch, capitale du Sundgau, zone rurale aux confins de l’Allemagne et de la Suisse. Avec une patientèle d’environ 3 000 personnes étalée sur une vingtaine de villages, des consultations en cabinet et des visites à domicile (une vingtaine par semaine), son cabinet ne chôme pas.

Une activité qui s’est intensifiée en mars avec « la vague » de patients Covid, contraignant les sept soignants de Vieux-Ferrette à restructurer leur activité. « Il y a eu un moment avec exclusivement des visites Covid », explique le Dr Ponton. « Là, on recommence les visites chez des patients chroniques où on n’allait plus pour ne pas faire entrer le loup dans la bergerie… »

Le Dr Ponton « m’a sauvé la vie »

Après deux semaines d’hospitalisation à Altkirch, Michel Lorentz, 78 ans, a regagné dimanche son domicile de Winkel, à une dizaine de kilomètres de Vieux-Ferrette. « Content de vous revoir ! », lance le Dr Ponton au septuagénaire, très secoué par le coronavirus. « Il n’a pas été placé en réanimation, son cœur ne l’aurait pas supporté », explique son épouse Agnès, 65 ans. Elle aussi a été contaminée, mais avec des symptômes plus légers. À la place, un protocole médicamenteux a été administré à son mari : « ça passait ou ça cassait… », se souvient Agnès Lorentz, qui rend hommage aux personnels de l’hôpital Saint-Morand d’Altkirch, où des patients Covid ont été accueillis dès mi-mars pour désengorger celui de Mulhouse, alors submergé.

Christian Boesinger, 63 ans, a également été admis à Altkirch. Ce retraité de Linsdorf, à un quinzaine de kilomètres de Winkel, loue lui aussi les soins prodigués dans cet établissement où il est resté « une dizaine de jours ». « Pour nous généralistes en zone rurale, c’est hyper important d’avoir un centre hospitalier de référence », souligne le Dr Ponton. À l’heure des restrictions budgétaires dans les hôpitaux, largement décriées par les soignants, il est « important de conserver » ces hôpitaux de proximité, insiste-t-il.

Il dit espérer que la crise du Covid « va faire bouger les choses » et permettre « aux médicaux de reprendre la main sur l’organisation des hôpitaux », alors que la maternité d’Altkirch a fermé en novembre et que ses urgences sont aussi sur la sellette. Le Dr Ponton « m’a sauvé la vie » en sonnant l’alarme sur l’état de santé de Christian Boesinger lors d’une visite à domicile, assure le retraité. « S’il n’avait pas eu le réflexe de venir de sa propre initiative… ». « Peut-être qu’ici, on est un peu plus en première ligne qu’ailleurs », analyse Jérôme Ponton. Pour autant, « on ne se sent pas des héros, on n’a pas le sentiment d’être en guerre ». Ce qui l’anime ? Certainement pas le « sacerdoce », plutôt « la sensation de soigner ». « On est dans le devoir, l’empathie et dans le soin », glisse-t-il, avant de s’engouffrer dans sa voiture et de partir pour son ultime visite de la journée.

AFP/LQ