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Dissolution du comité de soutien : «Objectif atteint» pour Antoine Deltour


Glen Millot, de l'association Sciences citoyennes, et les lanceurs d'alerte Karim Ben Ali et Antoine Deltour, vendredi soir à Épinal. (Photo: Alain Morvan/Le Républicain Lorrain)

Près de huit ans après le début de l’affaire LuxLeaks et à l’issue de trois ans de combat judiciaire, une page s’est tournée vendredi pour Antoine Deltour avec la dissolution de son comité de soutien à Épinal.

« La première fois où j’ai vu mes avocats, je leur ai dit que je ne voulais pas aller en prison», raconte Antoine Deltour. «Après le procès de première instance au Luxembourg, en 2016, j’ai été condamné à une peine plutôt clémente de douze mois de prison avec sursis. Certains m’ont alors dit d’arrêter, de ne pas faire appel, de ne pas m’acharner», poursuit le lanceur d’alerte de l’affaire LuxLeaks.

Mais l’ancien auditeur de PWC n’a rien lâché, a fait appel de ce jugement et, malgré une réduction de sa peine, s’est pourvu en cassation où il a obtenu une décision sans précédent devant une juridiction de l’Union européenne : celle de voir pleinement reconnu son statut de lanceur d’alerte, tel que défini par la Convention européenne des droits de l’homme.

«Objectif atteint», peut donc lancer Antoine Deltour devant des membres de son comité de soutien, réunis vendredi soir au centre Léo-Lagrange à Épinal pour une ultime assemblée générale. À l’issue d’un combat judiciaire de trois années, l’association fondée en février 2015 a été dissoute, puisque l’un de ses principaux objectifs, aider Antoine Deltour à assurer les frais de sa défense, n’a plus lieu d’être.

«Un vaste élan de solidarité»

«Mais nous ne sommes pas là pour nous autocongratuler, nous voulons donner un prolongement aux LuxLeaks», poursuit Antoine Deltour, affirmant : «Ce qui a compté pour moi, c’est l’engagement collectif en faveur d’un lanceur d’alerte dont l’action est d’abord individuelle et cette action est absurde si elle n’est pas partagée.»

«Je trouve formidable que ma démarche ait trouvé un relais plus collectif. Sans ce vaste élan de solidarité, je n’aurais pas pu sortir indemne de ce long combat judiciaire. Je remercie infiniment tous ceux qui ont eu raison d’y croire», ajoute le discret lanceur d’alerte, longuement applaudi par une assemblée qui ne cache pas sa satisfaction d’avoir mené ce combat jusqu’au bout.

Au cours des trois dernières années, plus de 400 personnes ont rejoint son comité de soutien, tandis que près de 2 500 faisaient un don (de 33 euros en moyenne) et qu’une pétition en ligne lancée sur change.org recueillait plus de… 215 000 signatures à travers le monde.

Chiffres impressionnants au regard de la petite centaine de membres du comité installés sur les gradins de la salle Léo-Lagrange, vendredi soir. Mais les chiffres sont trompeurs et, assurément, ceux qui sont venus pour cette ultime réunion ont été parmi les plus fidèles soutiens du Spinalien. Il y a là sa famille, ses parents, son frère, ses oncles et tantes mais aussi les «potes», ceux qui connaissent Antoine «depuis tout petit» et se sont d’emblée engagés à ses côtés.

Pendant trois ans, pour chaque audience devant les tribunaux luxembourgeois, ils ont fait le déplacement depuis les Vosges, en bus, en voiture. Ils se levaient à l’aube pour se présenter à l’heure sur le parvis de la Cité judiciaire de la capitale grand-ducale où, déployant banderoles et calicots, ils faisaient résonner leur chant «Merci Antoine !», «Merci Raphaël», «Merci Édouard», les prénoms des deux coinculpés du Vosgien, le lanceur d’alerte Raphaël Halet et le journaliste Édouard Perrin.

«Les milliards de l’évasion fiscale»

Il serait toutefois erroné de voir dans cet engagement la seule expression d’une solidarité personnelle avec Antoine Deltour. S’ils ont rejoint le comité, c’est aussi par adhésion au combat plus général mené par le Vosgien : la reconnaissance et la protection des lanceurs d’alerte et la lutte pour la justice fiscale. «Les milliards perdus dans l’évasion fiscale privent les caisses publiques d’entrées pour investir dans l’éducation, la santé…», rappelle l’un d’eux.

Sur cet aspect des LuxLeaks, Antoine Deltour a rappelé que le combat n’a pas été vain puisqu’il a abouti à des décisions internationales de l’OCDE mais aussi à des condamnations prononcées par la Commission européenne à l’encontre du fisc luxembourgeois, sommé de récupérer des centaines de millions d’euros d’impôts impayés auprès de multinationales comme Fiat, Engie ou Amazon qui avaient toutes bénéficié de trop avantageux rescrits fiscaux.

Une Maison des lanceurs d’alerte

«Cela nous donne du baume au cœur de voir une opération parvenir à un tel résultat», commente Glen Millot, lors du débat qui suit l’assemblée générale. Ce chercheur est membre de Sciences citoyennes, une association française chargée de coordonner la création prochaine de la Maison des lanceurs d’alerte, une structure qui apportera conseils et soutiens aux lanceurs d’alerte français. Sa présence ainsi que celle de Karim Ben Ali, lanceur d’alerte dans l’affaire de la pollution du crassier de Marspich, marquent bien la volonté du comité de «donner un prolongement aux LuxLeaks».

Ce prolongement sera aussi financier, comme cela est annoncé lors de la présentation du bilan du comité. Grâce à la générosité des donateurs, l’association dispose d’un petit trésor de guerre de 30 000 euros. Cinq mille euros seront versés au comité de soutien constitué au Luxembourg afin d’aider à financer la défense de Raphaël Halet devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le reste sera équitablement distribué entre des plateformes de défense des lanceurs d’alerte et de lutte pour la justice fiscale.

«L’élan de solidarité» se poursuit.

Fabien Grasser

 

«Je veux qu’on reconnaisse que j’ai raison»

Huit mois que Karim Ben Ali attend les résultats des analyses effectuées par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) sur le crassier de Marspich, à Florange. En décembre 2016, ce chauffeur de camion, intérimaire pour le compte de Suez, met sur internet une vidéo filmée avec son téléphone sur laquelle on le voit déverser un liquide fumant sur un crassier propriété d’ArcelorMittal.

Pour ce père de famille de 36 ans, cela ne fait pas de doute : le contenu des citernes qu’il charge à l’usine ArcelorMittal de Florange est constitué d’acide chlorydrique et sulfurique, produits hautement toxiques, obligatoirement retraités dans un centre spécialisé. ArcelorMittal «dément fermement», avançant qu’il s’agit de boues d’hydroxyde de fer. Sauf que les vidéos de Karim Ben Ali montrent le déversement d’un liquide verdâtre fluide et non d’une boue compacte rouge comme ce devrait être le cas dans la version d’ArcelorMittal.

Impatience et colère

L’affaire fait grand bruit quand elle est révélée au printemps 2017 par Le Républicain lorrain et France Bleu Lorraine. Le parquet de Thionville ouvre une enquête préliminaire et ordonne des analyses du terrain par la Dreal. La justice promet la publication rapide des résultats… Mais près d’un an après, toujours rien, suscitant impatience et colère chez Karim Ben Ali mais aussi chez les riverains du crassier et chez Yvan, un second lanceur d’alerte, ancien employé de Suez, qui abonde dans le même sens. Ne pas gêner le rachat d’Ilva? Aucune plainte n’ayant été déposée contre Karim Ben Ali, que d’aucuns surnomment le «premier lanceur d’alerte ouvrier», il n’a pas accès au dossier.

Une situation intenable alors que sa parole est mise en cause par ArcelorMittal, qu’il a perdu son emploi et qu’il subit toutes sortes de pressions à Florange, où le sidérurgiste emploie 2 000 personnes. «La seule chose que je veux, c’est qu’on reconnaisse que j’ai raison», a-t-il dit vendredi lors du débat ayant suivi l’assemblée générale de dissolution du comité de soutien à Antoine Deltour, à Épinal. «J’ai fait ces vidéos la seule fois où je me suis rendu seul sur le crassier, quand je n’étais pas accompagné par un employé de Suez ou d’ArcelorMittal», a-t-il précisé, affirmant avoir déversé plusieurs fois des citernes de 28 m3 du même produit sur le crassier.

ArcelorMittal montre patte blanche

Pourquoi l’enquête piétine-t-elle tant alors qu’il y va d’un grave soupçon de pollution? Le parquet de Thionville se mure dans le silence, tandis qu’officieusement des enquêteurs lâchent que le retard est lié à un vice de procédure administratif. Dans un entretien au Républicain lorrain, le 15 avril, l’eurodéputé Édouard Martin faisait un lien entre l’enlisement de l’enquête et le rachat d’Ilva à Tarente par ArcelorMittal, un des sites industriels les plus pollués d’Europe, responsable d’au moins 400 décès selon la justice italienne.

Pour l’ancien syndicaliste de la sidérurgie, un scandale de pollution sur un site d’ArcelorMittal apporterait «de l’eau au moulin des ONG qui demandent la fermeture de Tarente». En attendant la publication des analyses, qui pourrait être imminente, ArcelorMittal s’efforce de montrer patte blanche et multiplie les annonces de bonnes intentions environnementales. La semaine passée, le géant de l’acier a même promis un objectif d’une sidérurgie zéro déchet! Il n’y a plus qu’à…

F. G.