Privés ou entreprises luxembourgeoises louent à des prix indécents des chambres à des salariés grand-ducaux dans les communes le long de la frontière, notamment à Ottange.
À première vue, c’est une maison banale. Cette imposante demeure, située à l’entrée de la rue du Grauve à Ottange, appartenait à une dame âgée jusqu’à l’année dernière. Rachetée au printemps par une entreprise luxembourgeoise, elle a ensuite subi de gros travaux. Le petit potager à l’entrée a été rasé au profit d’un parking. Des cloisons ont été érigées à l’intérieur, de façon à diviser le lieu en plusieurs logements. À côté de l’une des nombreuses portes d’entrée, cinq boîtes aux lettres. Deux seulement sont attribuées.
Ses habitants, des Portugais et un Italien, ne parlent pas français. Ils louent chacun une petite chambre spartiate, avec entrée privative, et partagent les autres pièces (salle de bains, cuisine, salon). «Je ne sais pas combien je paie. Le loyer est directement prélevé par l’usine», raconte l’un d’entre eux. Il explique être là depuis peu et il ne compte pas rester plus d’un mois.
L’exemple est typique de ce qui se trame le long de la frontière. Cette dernière attire les marchands de sommeil. Dans les communes limitrophes, les biens immobiliers sont rachetés pour y aménager des chambres et des caves. Lesquelles sont louées à des prix exorbitants sur internet : de 300 euros à plus de 500 euros par mois.
De nombreux abus
Les travailleurs frontaliers et les étudiants sont preneurs… «Franchement, ici ça va comparé à ailleurs, raconte cet habitant d’une autre résidence ottangeoise. Là où j’habitais avant, il y avait des règles strictes. On devait rentrer avant 22 h, ne pas faire de bruit dans les escaliers. C’était comme une prison!» Ils sont six à habiter dans ce logement. Chacun loue sa chambre 500 euros.
Les propriétaires de ces biens viennent parfois de l’extérieur. Ils montent des sociétés immobilières, puis aménagent les chambres qu’ils louent à l’unité. Les autres pièces sont partagées. La location comprend l’électricité, internet, le gaz… Dans d’autres cas, des entreprises luxembourgeoises rachètent les biens ou les louent en leur nom. Elles y placent ensuite leurs travailleurs détachés. Le roulement est important. Les «locataires» ne restent jamais longtemps.
À douze dans une maison
Ce système n’est pas sans poser des problèmes de sécurité : «S’il y a une ou deux personnes, ça va. Mais à douze dans une maison de quatre pièces, c’est hors la loi», explique un spécialiste de l’immobilier qui s’appuie sur un cas avéré. Les entreprises y trouvent toutefois leur compte. Elles bénéficient d’une main-d’œuvre de proximité. Les salariés profitent quant à eux d’une résidence sans avoir à se déclarer auprès de la mairie. D’après une source qui connaît le dossier, leurs enfants logent parfois au Luxembourg dans la famille, afin qu’ils puissent bénéficier des avantages sociaux du Grand-Duché.
La prolifération des chambres à louer pose aussi un problème de stationnement. Les voitures envahissent les cités. Les habitants peinent à se garer. Une question à laquelle les collectivités ne trouvent pas de réponse.
Damien Golini (Le Républicain lorrain)
Peu de solutions pour les mairies
Audun-le-Tiche, Volmerange-les-Mines, Ottange… Les communes situées le long de la frontière sont les plus exposées aux marchands de sommeil. Leur proximité avec le Grand-Duché en font les cibles privilégiées des investisseurs immobiliers. Ce qui n’est pas sans poser problème aux mairies. Il y a deux semaines, lors de l’assemblée générale des maires, Gilles Bertoni, adjoint au maire d’Ottange, a interrogé le sous-préfet. «Cela fait deux ans qu’on essaie de trouver des solutions», explique-t-il.
La surpopulation des logements pose des problèmes de sécurité, mais surtout «de décence» selon la maire Fabienne Menichetti, qui exprime également ses doutes sur la question sanitaire. «Ils se partagent les caves, ils n’ont qu’une salle de bains… Cela pose un problème moral.»
Les mairies sont confrontées à un autre problème. Elles sont désormais incapables de recenser précisément les habitants de la commune. «On n’est plus obligé de se déclarer en mairie. Du coup, nous ne savons plus qui habite ici.»
L’Agence régionale de santé (ARS) a été sollicitée par la commune d’Ottange. En l’absence d’insalubrité effectivement constatée, elle a indiqué ne pas pouvoir intervenir. Le sous-préfet a, pour sa part, rappelé la disposition dont peuvent désormais jouir les collectivités, à savoir appliquer un permis de louer aux bailleurs. Toutefois, ce dernier ne peut s’appliquer qu’à des motifs d’insalubrité.
«Je pense que le problème doit être soulevé au niveau intercommunal», conclut la maire d’Ottange, qui tend la main aux communes voisines.
D. G.