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Des Lorrains à Mayotte, cette île transformée en cocotte-minute


Enseignants, Marion Vespignani, 32 ans, et William Champin, 36 ans, entament leur 4 e année à Mayotte. Jolane est née l’an dernier.

Marion et William, couple de Nancéiens, entament leur quatrième année à Mayotte. Une île française de l’Océan indien qui cumule tous les retards et toutes les inégalités, sans comparaison possible avec les autres départements d’outre-mer. La grève générale ne fait qu’exacerber les tensions.

Sur sa terrasse, Marion contemple le lagon. A 18h, la nuit est tombée. Les alizés lui portent la douceur des 28° du soir. Délicieux. En journée, la température monte jusqu’à 35°. Mais à Mayotte, il n’y a pas que le fond de l’air qui soit chaud. Toute l’île bouillonne. Pas seulement depuis ces quinze jours de grève générale.

« La grève exacerbe les tensions. Ça peut péter à tout moment », témoigne William Champin, directeur de Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) à Mamoudzou, la capitale. Le Nancéien est installé à Mayotte depuis trois ans avec sa compagne Marion Vespignani, nancéienne aussi. « Ce que revendiquent les syndicats, les jeunes s’en emparent. Ils ne croient plus en rien. »

Désespérance d’un département français qui affiche quarante ans de retard sur ses voisins d’outre-mer et cumule des inégalités à la limite du soutenable. Sur l’île, le salaire médian oscille entre 300 et 400 €. Comme l’Etat français cherche à l’aligner sur celui de la Réunion, les impôts suivent. « Ils ont triplé l’an dernier, confirme Marion. La nourriture aussi, tout ce qui est importé est bien plus cher qu’à la Réunion. Et rien n’est comme en métropole. Caf, retraite, chômage, aides sociales, tout est a minima. » D’où le slogan : « Egalité réelle ! »

Mayotte, c’est un petit paradis sur Terre. Elle a pourtant des allures d’immense bidonville. Des maisons de tôles et d’autres inachevées, un état sanitaire effrayant. Les gamins des rues pullulent. Pour s’en sortir, les familles pratiquent « la Cagnotte : de l’argent collecté entre familles chaque mois et redistribué à tour de rôle. Seul moyen pour l’achat d’une voiture, la construction d’une maison », explique Marion. Une solidarité qui ne doit pas masquer violences, vols et agressions au quotidien. Les Blancs ou Mzungu en langue shimaori sont cibles de toutes les convoitises.

Population rackettée

« Tout le monde connaît une personne qui s’est fait voler, agresser ou cambrioler, constate William. Dans le quartier blanc, il y a des barreaux aux fenêtres partout. Pesant, mais une habitude à prendre », comprend le jeune couple parent d’une petite Jolane, née l’an dernier. « On est prudent, on ne traîne pas dans les rues le soir. » Les batailles rangées entre villages sont fréquentes pour de futiles prétextes. « L’an dernier déjà, il y avait eu des émeutes à cause d’un match de foot », se souvient William. Dans un autre contexte, la gendarmerie a dû intervenir dans son collège pendant un mois. « C’est tellement tendu. »

La grève générale accentue tous ces déséquilibres. Les jeunes, « des gosses », profitent des barrages des syndicalistes pour racketter la population. William et Marion ont de la chance. Le nord de Mamoudzou, où ils habitent, est préservé des barrages. « Dans le sud, ma belle-sœur est bloquée, affirme Marion. Les grèves concernent le secteur public, mais toute l’activité privée est affectée. Les artisans ne peuvent plus travailler. »

A cela s’ajoutent les clandestins. « Aux Comores, ils gagnent 50 € par mois. Mayotte, c’est l’eldorado pour eux. En Europe, on parle de Lampedusa mais à Mayotte, 900 clandestins débarquent chaque mois. L’île est à saturation. » La caricature d’un Mahorais qui écrase la tête d’un clandestin donne le ton. « L’Etat est démissionnaire. Il doit réagir. Mayotte, c’est une pépite au potentiel incroyable. Mais rien, pas même le tourisme, n’y est exploité. »

Laurence Schmitt (Le Républicain lorrain)

Marion Vespignani dans sa classe, au-dessus de la capitale Mamoudzou. « A Mayotte, enseigner prend tout son sens. » Photos DR.

Marion Vespignani dans sa classe, au-dessus de la capitale Mamoudzou. « A Mayotte, enseigner prend tout son sens. » Photos DR.

 

Le potentiel de Mayotte est extraordinaire. Pourtant, l’île n’a pas su les exploiter. « Il faut que l’Etat réagisse », s’inquiète William.

Le potentiel de Mayotte est extraordinaire. Pourtant, l’île n’a pas su les exploiter. « Il faut que l’Etat réagisse », s’inquiète William.