De nombreux Afghans en danger sous le régime taliban ont fui leur pays pour être accueillis en France. Parmi eux, la célèbre journaliste télé Nabilla Ashrafi.
Elle est passée en quelques jours de Kaboul à Longwy et de la notoriété à l’anonymat le plus total. En Afghanistan, le visage juvénile de Nabilla Ashrafi est connu de tous, ou presque. Jusqu’à la mi-août, cette jeune femme de 29 ans était l’une des reporters phare de TOLOnews, télé la plus regardée du pays, où elle travaillait depuis six ans. C’était sa vie avant l’arrivée au pouvoir des talibans, au mois d’août. Un cauchemar pour celle dont les reportages tournent beaucoup autour de la culture et qui a souvent parlé des monuments détruits par les fondamentalistes religieux : «Je ne savais pas ce qu’ils allaient faire de moi et je ne me voyais pas de futur avec eux», explique la jeune femme toute fluette.
Depuis septembre, l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) l’a logée dans un petit appartement près de la gare de Longwy. Dans son salon aux fauteuils recouverts de draps, elle raconte son histoire en afghan à un autre réfugié qui nous la traduit en anglais. Nabilla sait ce que c’est que de vivre sous le joug des talibans. Enfant, elle n’a découvert l’école qu’à l’âge de 9 ans, en 2001, quand ces fondamentalistes islamistes ont quitté le pouvoir et que les filles ont été autorisées à y retourner.
S’ensuit une parenthèse enchantée de vingt ans où la jeune femme décroche son diplôme de journaliste à l’université de Kaboul. Dans ses reportages, visibles sur Youtube, on la voit mener ses interviews en jeans, parfois même sans voile : «J’étais libre de m’habiller comme je voulais.» Même la dangerosité du métier n’avait alors pas prise sur elle : «Mon média a toujours été une cible. En six ans, j’ai perdu onze collègues dans des explosions causées par les talibans ou Daech. Ces derniers mois, nous ne pouvions plus tourner dans la rue et il fallait faire attention à qui nous parlions. De décembre 2020 à mars 2021, j’ai même été empêchée de rentrer chez moi, alors que ma maison était à seulement dix minutes. Nous avons vécu au bureau.» En 2014, elle se trouvait au Centre culturel français lorsque celui-ci a été victime d’un attentat-suicide.
Une vie à reconstruire
Quand les talibans ont pris Kaboul, son nom a été couché sur une liste de personnes jugées vulnérables à exfiltrer rapidement. Nabilla a rejoint l’aéroport, où toutes les ambassades s’étaient réfugiées. Elle y est restée 16 heures avant de prendre un avion pour Abou Dhabi, puis pour la France, qui lui accorde un titre de séjour de dix ans en tant que réfugiée politique : «Je suis partie avec un petit sac. Je n’ai plus rien. Même mon ordinateur est resté en Afghanistan.»
Aujourd’hui, son média, qui dépend du groupe Moby, existe encore. Mais ses collègues ont fui aussi et «les nouveaux journalistes ne peuvent rien dire sur les talibans.» Nabilla, elle, se dit heureuse «de vivre en sécurité» alors qu’en Afghanistan, les filles sont de nouveau interdites d’école et les femmes de travailler. Mais sa vie est à reconstruire. Elle s’y voit bien continuer dans le journalisme, une fois qu’elle aura appris le français. Elle rêve aussi de rejoindre rapidement Paris, ou au moins Metz, pour étancher sa soif de culture et de rencontres. Car elle sait maintenant son avenir loin d’Afghanistan, même si toute sa famille y vit toujours : «Si les talibans partent, j’y retournerai. Mais je n’y crois pas. Je dois accepter cette situation.»
Philippe Marque (Le Républicain lorrain)