La coordination face au virus est à échelle variable en Grande Région. Fermeture des frontières, contrôles, coordination du déconfinement au niveau sanitaire : on fait le point.
Les barrages allemands sur les ponts de la Moselle, «ça pique les yeux», nous écrit un fidèle lecteur. Depuis le début du confinement, le Grand-Duché, au cœur de l’Europe, subit l’absence de coordination européenne face au Covid-19. Et au final, on a bien du mal à s’y retrouver. Fermeture des frontières ou non, coordination au niveau du travail et de la santé… où en est-on avec nos différents voisins ? Nous faisons le tour de la question avec le ministère des Affaires étrangères.
Quelles différences entre «fermeture des frontières» (Allemagne) et «filtrage aux frontières» (Belgique, France) ?
Dans les trois cas, les frontaliers peuvent passer. Dans les trois cas, la mobilité est restreinte pour aller faire ses courses (exemple : l’essence)… Pourquoi les tensions sont donc plus fortes entre l’Allemagne et le Luxembourg qu’avec la France alors ? «En pratique, nos trois voisins effectuent des contrôles qui affectent d’une manière ou d’une autre les flux transfrontaliers, nous explique le ministère des Affaires étrangères. La France n’a pas formellement réintroduit les contrôles aux frontières, mais la police effectue des contrôles liés à l’application de mesures strictes de confinement sur le territoire français. En pratique, avec les certificats requis, il reste donc possible de passer la frontière pour plusieurs catégories de personnes, dont les frontaliers.»
Concernant la Belgique, elle a pour le coup «formellement introduit des contrôles aux frontières», mais en pratique «le passage de la frontière se fait sans entraves majeures» pour autant que les gens présentent des documents montrant «de manière raisonnable que leur déplacement est justifié dans le contexte de la crise», poursuit notre interlocuteur.
Reste l’Allemagne. La situation se corse puisqu’en pratique, le franchissement de la frontière est très restreint. «C’est la situation la moins facile…», glisse notre interlocuteur. Doux euphémisme. «Tout comme la Belgique, l’Allemagne a réintroduit des contrôles aux frontières avec le Luxembourg par le biais d’une notification à la Commission européenne. Mais elle a en plus pris unilatéralement la décision très regrettable de fermer entièrement certains passages de la frontière avec le Luxembourg. Un nombre limité de passages sont restés ouverts pour certaines catégories de personnes, mais cette ouverture est accompagnée de contrôles stricts et systématiques par la police fédérale allemande.» L’aspect ciblé (points de passage) et systématique des contrôles, doublé d’un aspect très restrictif des motifs de franchissement, fait donc la différence avec les deux autres pays voisins. Cela explique les tensions diplomatiques récentes et la montée au filet de Jean Asselborn appelant les Allemands à ne pas trahir l’esprit de l’Union européenne.
D’ailleurs, rapidement après l’effet surprise de la fermeture unilatérale des frontières, «et grâce à des efforts diplomatiques avec le soutien de l’administration des Douanes et Accises, le Grand-Duché a pu obtenir la réouverture de deux passages de frontière supplémentaires à Dasbourg et Vianden en mettant à disposition 50 agents luxembourgeois en soutien à la police fédérale allemande», précise le ministère. Le week-end dernier, «après des contacts intensifs à plusieurs niveaux (NDLR : décidément), deux passages supplémentaires ont pu être rouverts à Remich et Bollendorf.» Mais concrètement… c’est au cœur de l’espace Schengen que l’on circule le moins librement.
À l’inverse, sur chacune des trois frontières, quels contrôles sont appliqués à l’entrée/à la sortie par le Luxembourg?
Au Luxembourg, les déplacements sur le territoire doivent être limités à ce qui est «strictement nécessaire». Mais il n’existe pas de papier à présenter, pas plus qu’il n’existe de contrôle aux frontières. C’est un règlement général spécial «Covid-19» qui s’applique à toutes les personnes circulant dans le pays. «Nous n’interdisons pas à nos voisins de se rendre au Luxembourg, malgré certaines fausses rumeurs qui circulent, surtout en Allemagne, à ce sujet», tacle notre interlocuteur.
«La police grand-ducale contrôle les déplacements sur notre territoire. Mais en aucun cas le Luxembourg n’a fermé ses frontières. Ce sont nos trois pays voisins qui effectuent des contrôles aux frontières», insiste notre interlocuteur. Dès l’annonce des premières mesures aux frontières, le Luxembourg a mis en ligne des formulaires pour permettre aux travailleurs frontaliers de passer la frontière facilement : «Ils fournissent un travail admirable et indispensable au service de notre population et de notre pays», glisse le ministère.
Pour tous les autres cas, peu importe depuis quel pays voisin est effectué le déplacement, la personne doit «justifier moyennant une documentation» le motif raisonnable du déplacement. «Je ne vous cache pas que la notion des autorités allemandes de « raison essentielle » («triftiger Grund») pour justifier un passage en Allemagne reste entourée d’un certain flou qui cause une certaine incompréhension dans la population. En fin de compte, la décision de donner libre passage relève hélas souvent de l’appréciation individuelle des agents de police sur place», tance notre interlocuteur au ministère.
Comment envisager une politique de déconfinement cohérente en Grande Région, d’un point de vue sanitaire notamment ?
Les Français annoncent un début de déconfinement le 11 mai, les Allemands ont déjà rouvert des commerces, le Luxembourg le BTP… le tout, avec 200 000 frontaliers chez nous ! Nous posons la question sans détour : «N’est-il pas risqué de déconfiner comme nous avons confiné en Grande Région au départ, c’est-à-dire sans organisation spécifique alors que notre espace transfrontalier est inédit ?»
Notre interlocuteur rappelle tout d’abord que, malgré le déconfinement à échelle variable, «la consigne générale demeure « restez à la maison » au Grand-Duché… Cette consigne vaudra encore au moins jusqu’au 11 mai. À ce niveau-là, nous nous situons donc sur la même ligne que nos voisins français.»
Pour le côté sanitaire, le ministère admet : «Il est vrai que la courbe de l’évolution de la maladie diffère selon les pays, de même que les capacités des systèmes de santé et les capacités de tests par exemple. Une adéquation des mesures est donc nécessaire. C’est pourquoi nous sommes en contact étroit avec les autorités nationales et régionales de nos pays voisins.» Mais concrètement… rien de concret.
Nous avons d’ailleurs tenté de joindre l’autorité de santé de la région Grand Est (France) sur ce même sujet. Qui nous a renvoyés vers la Direction générale de la santé (DGS) à Paris. Qui nous a renvoyés vers Matignon. Qui, au moment d’écrire ce papier, ne nous répondait toujours pas.
La patate est trop chaude pour que quelqu’un s’en saisisse. On peut donc douter d’une réelle coordination sanitaire aux frontières, même au cœur de l’Europe… Ce qui «pique les yeux» autant que de voir des frontières fermées.
Hubert Gamelon
Un luxembourgeois ayant une 2me résidence aux Pays-Bas, peut-il ou non passer les frontières belges et néerlandaises sans problème ?