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Coopération transfrontalière : paroles, paroles, paroles [chronique]


Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots. Rien que des mots. C’était ce que Dalida chantait en duo avec Alain Delon en 1973. La chanson m’est revenue à l’esprit lorsque j’ai lu le communiqué de presse de la conférence annuelle de la MOT, intitulée «Réformes territoriales : quels impacts pour la coopération transfrontalière?» Elle a eu lieu le 17 juin à Chamonix, au cœur des Alpes françaises.

C’est quoi la MOT ?

La Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) est l’émanation d’une structure interministérielle française créée à la fin des années 1990 dans l’optique de coordonner les activités transfrontalières de la France. C’est devenu une plateforme respectable, réunissant une dizaine de pays membres de l’Union européenne.

La réunion de Chamonix a attiré quelque 150 personnes, beaucoup d’élus, mais aussi d’autres acteurs de la coopération transfrontalière. À côté d’intervenants français, il y a également eu des orateurs suisse, allemand (Sarre), italien et de la Commission européenne.

Le transfrontalier, c’est l’Europe

Dans son allocution d’ouverture, le maire de Chamonix, Eric Fournier, a appelé à une plus grande reconnaissance des espaces transfrontaliers pour construire des «espaces cohérents de solidarité». Christian Dupessey, vice-président de la MOT, l’a suivi en martelant que «les régions de frontières sont porteuses d’un message positif sur l’Europe», qu’«elles sont la solution et non pas le problème».

Il est vrai que les espaces transfrontaliers – notre Grande Région en est un bel exemple – jouent un rôle particulier dans ce sens qu’elles unissent des territoires séparés par des frontières, ces «cicatrices de l’histoire», aux tracés pas toujours évidents à comprendre.

Du fait de la globalisation et de l’ouverture des frontières, des espaces jusque-là marginalisés, négligés, délaissés, peuvent devenir des zones-clés stratégiques. Si, bien sûr, les États concernés veulent qu’il en soit ainsi.

De l’imagination et du courage

Les espaces transfrontaliers ne se construisent pas tout seuls comme l’a souligné l’expert Jacques Lévy. «Ce sont les acteurs individuels qui fabriquent les espaces.» Le géographe a insisté sur les conditions à remplir pour que l’aménagement d’un territoire transfrontalier puisse aboutir.

Primo, il faut raisonner et travailler à la bonne échelle : «C’est au local de gérer le local.» Secundo, il faut dépasser le cadre national et «créer un espace de délibération au-delà de l’intergouvernemental.» Tertio, il ne faut pas oublier les premiers concernés et «donner la parole aux habitants». Quarto, il convient d’aller bien plus loin que la simple gestion. Pour «inventer les territoires au-delà des frontières», il faut de l’imagination. Et du courage. Et de la persévérance.

Plusieurs tables rondes ont permis de creuser la question qui consiste à savoir dans quelle mesure la réforme territoriale française risque d’impacter le développement territorial transfrontalier.

Tout le monde l’aime

Quoi donc? Le transfrontalier. Anna-Karina Kolb, du canton de Genève, a insisté sur le potentiel d’innovation propre aux régions transfrontalières : «Le transfrontalier, c’est de l’international de terrain. En transfrontalier, il est nécessaire de dépasser nos propres règles pour travailler ensemble, sortir d’une vision nationale pour inventer des formes hybrides et nouvelles.» Ça sonne bien, mais comment en convaincre ceux qui nous gouvernent ?

Simon Jodogne, de la métropole européenne de Lille, enthousiaste, estime que «le transfrontalier devient du droit commun dans notre conscience». Nous n’en sommes pas encore là. Christine Klos, qui s’occupe des Affaires européennes et transfrontalières de la Sarre, espère que la nouvelle région ALCA (Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne) permettra de porter un message commun plus cohérent et plus audible vers Paris, Berlin et Bruxelles. Espérons qu’elle ne se trompe pas.

Agnès Monfret, de la Commission européenne, a affirmé sans rougir que «la coopération transfrontalière est aujourd’hui totalement intégrée dans les travaux de la Commission». Ils sont bien loin les temps où la Commission, en réponse à une interpellation du parlementaire sarrois Jo Leinen, affirmait que la coopération transfrontalière était exclusivement du ressort des États nationaux. À Jean-Christophe Baudouin, du Commissariat général à l’égalité des territoires, de conclure : «Nous sommes au cœur de la construction de l’Europe; de la réussite des projets transfrontaliers dépend la réussite du projet européen.» Dont acte.

Malheureusement, contrairement aux discours du dimanche que l’on entend ça et là, le moteur de la coopération transfrontalière est en panne, comme l’intégration européenne tout court. Le cœur n’y est pas ou plus. La crise, le protectionnisme, l’égoïsme sont passés par là. Méfions-nous des belles paroles et réclamons des actes.

Claude Gengler