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Cinquante nuances de green dans « A Bure pour l’éternité »


La résistance citoyenne qui s’est organisée autour du projet d’enfouissement des déchets nucléaires radioactifs à Bure, en Meuse, a fait l’objet d’un film : « À Bure pour l’éternité », réalisé par les frères Bonetti, vient de sortir. La commune de Beckerich y est notamment citée en exemple d’une alternative possible.

Il faut se rendre à l’évidence : le film À Bure pour l’éternité ne séduira pas des millions de spectateurs, comme il ne rapportera pas des millions de dollars à ses réalisateurs, Aymeric et Sébastien Bonetti. Sûr que dans ce documentaire de 52 minutes, consacré à la résistance citoyenne qui s’est organisée autour du projet d’enfouissement des déchets nucléaires les plus radioactifs dans les entrailles de Bure, en Meuse profonde, il n’est pas question de pratiques débridées à coups de cravaches et martinets.

Même si Sébastien Bonetti avoue avoir reçu « une claque » depuis qu’il s’est intéressé au sujet de Bure, voilà un peu plus de cinq ans. Et jusqu’à la sortie officielle du film en DVD en janvier, le trentenaire, par ailleurs journaliste au Républicain Lorrain, en a pris d’autres des claques.

Tout est parti d’un « livre de chevet », dont À Bure pour l’éternité se fait la résonance. Walden, ou la vie dans les bois, de l’Américain Henri-David Thoreau n’est pas un best-seller. N’empêche, cet ouvrage de 1854 est considéré par beaucoup comme « le livre fondateur du mouvement écologique mondial ».

D’accord, mais pas de quoi fouetter un chat avec tout ça, regretteront d’aucuns. Si, justement il y en a un, de matou, sur lequel la caméra des deux frères natifs du bassin de Longwy s’attarde volontiers. Peinard dans sa paisible campagne. Oui, mais jusqu’à quand ? Combien de temps avant que le colosse nucléaire aux pieds ancrés dans le sol argileux de la bourgade meusienne ne vacille ? « Des études ont montré qu’il y a un potentiel géothermique à Bure, des risques d’infiltrations, voire de séismes, rapporte Sébastien Bonetti. Comme celui de 2003, dont l’épicentre se situait à Saint-Dizier ».

« Une part de moi restera à jamais là-bas »

Reste que le film ne se résume pas à une enquête sur ce qui deviendra la poubelle du nucléaire. De la même manière qu’il n’est pas juste « un bel outil militant », comme il est parfois décrit à la sortie des projections qui fleurissent un peu partout en Lorraine et dans toute la France. D’autres rendez-vous sont d’ores et déjà prévus au printemps.

L’engagement aurait pu aller plus loin. Quel intérêt, toutefois, de ne prêcher que les convaincus ? « On aurait pu faire quelque chose de plus radical, mais il fallait parler à tout le monde, justifie Sébastien Bonetti. On s’est demandé comment parler à ceux qui ne sont pas sensibilisés à ces questions écologiques ou aux pro-nucléaire. » Et comment, encore, (r)éveiller les consciences endormies depuis « les luttes des années 70-80. Les gens se bougeaient, les paysans sortaient avec les fourches. À Bure, ils ont tout fait : manifs monstres, pétition, référendum, recours… »

Nombreux sont ceux qui ont saisi la poésie dégagée par les images. Elles racontent des tranches de vies. Celles du chat, des quelque 90 âmes qui vivent dans la localité et des centaines de membres du collectif Bure Zone Libre qui ont retapé une ruine et fondé en ses murs la Maison de la résistance.

Un lieu de « richesses incroyables et d’échanges autour de grandes tablées », où le partage croise la solidarité laquelle côtoie les savoir-faire. Là encore, Sébastien Bonetti a pris une claque. « Ma vie n’est plus pareille depuis. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré le titre du film. Une part de moi restera à jamais là-bas. » Parmi ces citoyens éclairés sur les moyens d’exister en autonomie. Éblouis aussi par les projecteurs et gyrophares des forces de l’ordre qui patrouillent constamment devant la bâtisse. Bure Zone Libre vit dans la pression. Pas dans la résignation.

L’alternative Beckerich

Au final, il y a bien cinquante nuances dans À Bure pour l’éternité. Cinquante nuances de green, précisément. Les réalisateurs se sont évertués à replacer l’humain au centre des choses. D’une nature régulièrement privée de ses droits et d’un environnement trop souvent bafoué.

La commune luxembourgeoise de Beckerich illustre parfaitement le propos d’une alternative possible. Parce que l’herbe y pousse plus verte qu’ailleurs, l’eau y coule plus claire et les énergies s’y produisent plus proprement.

D’où la présence à l’écran de l’ancien bourgmestre Camille Gira, aujourd’hui secrétaire d’État au Développement durable et aux Infrastructures. « Le lien avec les trois quarts des idées de la Maison de la résistance était évident, argue Sébastien Bonetti. Quand on s’est lancé dans le projet, on a tout de suite entendu les critiques : « ils font ça à l’échelle d’une maison ». Sauf que lorsqu’on regarde ce qui est fait à Beckerich, on voit que ce n’est pas une question d’échelle mais de volonté politique. Eux, ils ont 20-25 ans d’avance. »

Alors oui, ce film, financé avec beaucoup de générosités anonymes, ne séduira pas des millions de spectateurs. Pas grave, tant qu’il ouvre les yeux de quelques uns. Et peut-être même que quelques autres prendront une claque…

Alexandra Parachini

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