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Avec les migrants, dans une «jungle» à la frontière grand-ducale


À l’abri de ces tentes, des migrants se réchauffent la nuit. Ils tenteront désespérément de monter dans un camion. (Photo : éad)

Les nuits dans «la jungle» d’Aubange ne sont pas de tout repos pour ces hommes à la recherche d’un aller simple vers l’Angleterre. Plongée dans le quotidien de transmigrants, avec le collectif du Joli-Bois.

Depuis plusieurs mois, la ville d’Aubange est une terre d’accueil pour de nombreux migrants. Grâce au Collectif du Joli-Bois et à une générosité locale indéfectible, les Zamigrants, tels qu’ils sont appelés là-bas, reçoivent une main qu’on ne leur avait jamais tendue auparavant. Isabelle Vanderlooven, membre du collectif, nous explique la genèse de ce groupe: «Au début, on ne savait pas ce qu’on pouvait faire ou ne pas faire. C’était plus une démarche de citoyens qui venaient apporter des denrées une fois la nuit tombée». Mise au courant, la commune n’a jamais tenté de freiner le mouvement, bien au contraire. Qu’en est-il des riverains? L’adage est classique mais illustre la pensée d’une partie de la population : les migrants ne dérangent personne, tant qu’ils ne sont pas trop près de chez soi. «On essaye de ne retenir que les bonnes choses, tempère Isabelle. Immédiatement, certains ont préparé des gâteaux, d’autres effectuent régulièrement des virements bancaires. 90 % des riverains sont touchés par le parcours des Zamigrants.». En atteste le succès des nombreux points de collecte dont le collectif fait régulièrement la publicité sur les réseaux sociaux. Outre la nourriture recueillie, certaines rentrées financières permettent l’achat de matériel de survie. Ainsi, le collectif a investi dans diverses tentes garantissant une température intérieure 15° supérieure à celle ressentie à l’extérieur.

Grâce à l’incroyable dévouement d’Isabelle Vanderlooven et de ses camarades, les transmigrants retrouvent un semblant de relation humaine. Un éclat de bonheur dans une vie bien terne.

L’objectif : partir en Angleterre

Comment se passe une journée type d’un migrant à Aubange? Le jour, ils occupent les installations du football d’Athus gracieusement mises à disposition. Les nuits étant agitées, les migrants ouvrent l’œil au milieu de l’après-midi. «Ils ne demandent qu’à travailler, qu’à se former. Ils veulent s’intégrer. Malheureusement, le système belge les empêche d’avancer à ce niveau-là.» Les journées sont monotones, placées sous le signe du repos, en total contraste avec une vie nocturne ô combien agitée. Le soir, ils poursuivent leur rêve : rallier l’Angleterre. Pour cela, direction la forêt, qu’ils appellent communément «la jungle».

«Ils quittent le local entre 22 h et 23 h, soit à vélo soit à pied, et prennent la direction de la forêt», détaille Isabelle Vanderlooven. Surplombant l’autoroute E 411, au triangle des frontières belge, française et luxembourgeoise, le bois d’Aubange est un endroit stratégique pour de nombreux transporteurs… et trafiquants. «Les dealers et les règlements de compte, ça a toujours existé à cet endroit, indépendamment de nos transmigrants», rappelle la membre du collectif. Les migrants s’accrochent à ce vague espoir d’exil. Pour tenter de se glisser dans un convoi, ils attendront calmement les petites heures, moment où les camionneurs ne conduisent plus que leurs rêves.

À mesure que la nuit se consume, ils brûlent d’impatience de tenter «la chance». Isabelle explique le choix de ce terme : «Ce sont eux qui ont appelé ça comme ça. Quand on y réfléchit, c’est assez logique, il s’agit vraiment d’une question de chance de savoir si le camion prendra bien la route de l’Angleterre ou non.» Si le poids lourd fonce vers la Manche, la route est encore longue pour nos passagers clandestins. De nombreux contrôles peuvent survenir aux frontières. Pour contourner ceux-ci, les migrants ont développé une astuce : se munir d’une couverture de survie. Elle leur permet de passer outre les rayons infrarouges de la douane. Cependant, malgré ces minutieuses précautions, le taux de réussite est relativement faible.

Pour beaucoup, la destination du camion n’est pas celle espérée. «Ils ont toujours un téléphone avec eux pour se repérer. Si le camion va vers l’Allemagne, c’est panique à bord, prévient Isabelle. Ils tambourinent à la porte du camion pour sortir parce que les réglementations allemandes sont beaucoup plus strictes. Aux Pays-Bas aussi, c’est très complexe. Ils risquent soit un séjour en prison très long, soit d’être renvoyés dans le premier pays européen où ils ont posé leurs empreintes, souvent l’Italie ou la Grèce.»

Dès lors, pour ceux ayant la chance de remettre le nez dehors après une tentative avortée, une odeur d’échec et de tristesse plane sur le chemin du retour. Et si la case prison fut évitée de justesse, le retour case départ est imminent. Revenir à Aubange ne sera pas chose aisée. Sans papiers, le trajet dans les transports en commun peut prendre quelques jours. Certains, épuisés d’une vie teintée d’aventure et d’insécurité, n’ont plus d’espoir: «Ils tentent de rejoindre l’Angleterre via Calais et d’effectuer la traversée en bateau. Malheureusement, ce moyen est très périlleux. Il y a des morts, déplore Isabelle. Enfin… des disparitions. Personne ne sait quantifier le nombre de décès.» Depuis septembre 2021, 25 migrants qui ont transité par Aubange ont posé le pied au royaume de Shakespeare. L’arrivée en Angleterre est souvent compliquée. Beaucoup tombent de haut. Au vu du nombre de réfugiés arrivant chaque jour, ils font face à un comité d’accueil de plus en plus hostile. Sans papiers, vivant dans des labyrinthes et cherchant du travail au noir, le doux rêve se transforme en dure réalité. Encore une fois.

Thomas Parent et Valentin Raskin (L’Avenir)