Une association voit le jour, positionnée sur l’équité transfrontalière. «Au-delà des frontières», notamment fondée par l’ancien maire de Metz Dominique Gros, veut opérer un travail de fond.
Il n’y avait pas un lieu plus calme pour parler d’un sujet qui fâche : l’équité transfrontalière. «Ça ne doit pas fâcher, lâche l’ancien maire de Metz, Dominique Gros. On ne peut pas rester indéfiniment sur une telle dissymétrie entre le Luxembourg et la Lorraine : il y a un mur pour tout le monde, et c’est le but de l’association que de travailler réellement sur le sujet, sans politique politicienne.»
Jeudi, sous les voûtes du couvent des Récollets de Metz, une poignée de politiques, chercheurs et citoyens se sont réunis pour lancer une nouvelle association : Au-delà des frontières (ADF).
L’équité trouve une définition précise ici : «La poursuite du travail engagé au Conseil de l’Europe, avec la recommandation adoptée en 2019 et le fameux rapport Lambertz», explique Dominique Gros. Ce rapport, adopté par 90 % des membres de l’institution, qu’Emmanuel Macron a qualifié de «conscience de l’Europe», pose le préalable d’une meilleure «répartition des ressources fiscales et des charges en zone frontalière», pour contrer les effets de cassure sur l’économie et ses déclinaisons : logement, éducation, formation, politique sociale, etc.
Cette répartition, Patrick Abate, maire de Talange, a fait les comptes, et on n’y est pas. «Les frontaliers apportent 3,6 milliards d’euros au budget de 23 milliards d’euros de l’État luxembourgeois actuel. Là-dessus, on a 1,8 milliard qui va directement aux 100 communes du Luxembourg. Si vous mettez 300 millions de rétrocession fiscale à destination des 2 000 communes belges, françaises et allemandes qui accueillent actuellement des frontaliers, il reste 1,5 milliard pour les communes luxembourgeoises : c’est à la fois faisable et nécessaire.»
Poursuivre un travail de fond
Pourquoi une telle répartition ? Les communes lorraines sont si démunies ? «C’est certain, répond Alain Casoni, conseiller départemental de Villerupt, citant une étude sur la pauvreté des budgets à la frontière. On nous rabâche les oreilles avec le codéveloppement. L’État français met des millions du côté de Micheville pour raccrocher le wagon de Belval sur l’immobilier. Et après? Qui va construire les écoles? Qui va devoir assumer les services? Villerupt, c’est 5 millions d’euros de budget d’investissement par an. On peut faire tous les « projets de codéveloppement » qu’on veut, si on ne règle pas la question fiscale, ça ne suivra pas.» Voilà un premier point clair : les investissements partagés («codéveloppement») ne résoudront pas le problème de fond. «D’autant que si demain l’État luxembourgeois se met à subventionner les crèches par exemple, comme il a subventionné un parking-relais à Longwy, il va faire quoi : aller voir les 2 000 communes pour étudier les tarifs ?»
*Jean-Marc Duriez, ancien maire de Longlaville, se souvient : «Ma mairie était à 2 km de celle de Pierre Mellina (NDLR : Pétange). On s’apprécie vraiment. Mais on ne vivait pas sur la même planète : il refaisait son cœur de ville pour 4 millions d’euros quand on refaisait un bout de route.» La pression immobilière d’un Luxembourg enfermé sur ses frontières s’en fait ressentir, jusqu’à avoir eu la première manifestation contre les loyers chers au Grand-Duché, samedi dernier.
Laboratoire d’idées transfrontalier
L’association tentera de jouer un rôle consultatif du côté luxembourgeois. ADF constate par exemple que sur le faramineux projet «Luxembourg in transition», il n’est pas prévu de consulter les élus des communes frontalières qui vont se retrouver malgré eux dans le schéma. «Il y a un problème global de représentativité sur l’aire urbaine du Grand Luxembourg, souligne Dominique Gros. Le gouvernement luxembourgeois est élu par une minorité : ni par les étrangers qui résident à Luxembourg, ni par les frontaliers de l’aire urbaine concernée. Xavier Bettel le sait et avait tenté son référendum.»
La partie risque d’être plus dure pour avancer sur le versant français. Une sorte de clivage gauche/droite se dessine irrémédiablement en Lorraine. «Ceux qui déplorent l’absence d’infirmières ou les problèmes insolubles de mobilité peuvent difficilement nous reprocher une « obsession » du Luxembourg», s’étonne Patrick Abate. L’exemple de métropolisation vertueuse en France, comme à Bordeaux, a été évoquée dans la salle. Ce qui manque à une aire urbaine comme le grand Luxembourg, c’est peut-être ce budget métropolitain commun qui a permis à un Alain Juppé (pas franchement de gauche!) de désenclaver une ville bloquée par le rivage. «Exactement, c’est avant tout du bon sens», a insisté Dominique Gros.
Pour les frontaliers eux-mêmes, il a été redit qu’il ne s’agirait jamais de leur reprendre de l’impôt. Il s’agit d’une meilleure répartition, depuis l’endroit où leur impôt est collecté à la source…
Il faudra encore donner une âme à cette aventure, pour ne pas parler que de chiffres, de rétrocession et d’A31 bis. La toile de fond est toute trouvée : «C’est l’Europe que nous voulons», a martelé Dominique Gros.
Hubert Gamelon