Plus de deux ans après les émeutes urbaines survenues à Hagondange dans la nuit du 29 au 30 juin 2023 en réaction à la mort de Nahel en région parisienne, des fonctionnaires de police se remémorent une attaque violente.
L’envers du devoir. La nuit du 29 au 30 juin 2023 à Hagondange n’avait pour seule lumière que les flammes léchant les murs du commissariat de police. Survenue deux jours après la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, cette émeute aura duré près de cinq heures. L’enquête dirigée par le parquet de Metz et confiée à la Division de la criminalité organisée et spécialisée (Dcos) suit son cours. D’ici son épilogue, plusieurs agents ont accepté, sous couvert d’anonymat, de revenir sur cet épisode lors duquel trois policiers ont été légèrement blessés. Entre stupeur, douleur et déchirement.
Ce jeudi 29 juin, Bernard* dort du «sommeil du juste». Vers 00 h 15, ce commandant de police reçoit un appel de sa supérieure hiérarchique. «Elle me dit que le commissariat est en feu !» Comme d’autres collègues, il enfile sa tenue et se rend sur zone. «À mon arrivée, décrit-il, il y a eu une envolée de moineaux.»
Il se souvient de plusieurs dizaines de drôles d’oiseaux armés de cocktails molotov, mortiers d’artifice et morceaux de ballast récupérés sur les voies de chemin de fer d’une gare située à un jet de pierre. Les sapeurs-pompiers éteignent l’incendie de la porte du sas d’entrée et des deux véhicules situés à proximité. «Par chance, la sécurité du coffret d’arrivée de gaz a fonctionné. Sinon, tout serait parti en fumée…»
L’attente des renforts…
De l’autre côté des rails, les assaillants se tapissent dans l’obscurité. Pour sécuriser le tunnel par lequel les émeutiers sont arrivés, les policiers tentent une traversée. À leur sortie, ils essuient une forte charge, «balancent quelques grenades à main», avant de se replier. Bernard énumère les priorités du moment : «Tenir le souterrain, les empêcher de traverser les voies pour éviter d’être pris à revers et écarter un nouvel assaut sur le commissariat.»
Lui et ses hommes s’arc-boutent sur un «petit portillon» donnant accès au parking, situé à une cinquantaine de mètres du poste de police. «On se faisait caillasser et tirer dessus au mortier, mais on ne voyait rien d’autre que des silhouettes», confie cet homme d’expérience. «Le vent, défavorable, nous empêchait d’utiliser les bombes lacrymogènes. Il fallait gérer nos munitions et redoubler de prudence dans l’utilisation des lanceurs de balle de défense…»
Des conditions propices au dérapage. Yannick*, la quarantaine, relate aujourd’hui une crainte partagée selon lui par d’autres collègues : «Cette nuit-là, plusieurs d’entre nous ont eu peur de mourir…» L’objectif ? Tenir la position dans l’attente de renforts qui tardent à arriver. La faute, en partie, à une multiplication de points chauds dans le secteur à sécuriser. Pour Thomas*, la cinquantaine, cette attente symbolise à ses yeux «l’incapacité de l’administration à assurer la sécurité de ses employés».
L’arrivée d’une vingtaine de gendarmes de la compagnie de Boulay-Moselle et le positionnement de leurs véhicules, tous phares allumés, vont leur permettre d’y voir plus clair. Tout comme le rétablissement de la lumière par deux agents SNCF coincés dans un local. L’intervention des brigades anticriminalité de Hagondange et de Metz entraîne une «manœuvre plus offensive». Vers 4 h du matin, c’est la fin d’une scène de chaos.
«La fin d’un cycle»
«Après coup, les mecs étaient tous hagards, ils se préparaient à une nouvelle attaque en raison d’un appel lancé sur Snapchat», se souvient Luc Rohard, délégué départemental du syndicat Unsa Police, «choqué par ces violences». «Ces émeutiers étaient venus pour blesser ou tuer du flic !» Yannick* confirme : «Quand vous incendiez la porte d’entrée d’un commissariat avec un agent à l’intérieur, que vous tirez sur celle de derrière, à coups de mortiers, pour l’empêcher de sortir et alimentez le feu avec de l’essence, le but est bien évidemment de tuer…»
Quelques semaines après l’attaque, Bernard (62 ans) a annoncé son départ à la retraite : «On va dire que j’étais arrivé à la fin d’un cycle…» Depuis, tous les vendredis, il se rend rue de la Gare pour déjeuner avec «les copains». Pour entretenir la cohésion et la résilience d‘un commissariat aux allures de «petit village gaulois…».
* Prénoms modifiés
Incendie du commissariat de Hagondange : 865 jours plus tard, où en est l’enquête ?
Confiée par le parquet de Metz à la Division de la criminalité organisée et spécialisée (Dcos) de Metz, l’enquête sur les émeutes survenues à Hagondange dans la nuit du 29 au 30 juin 2023 suit son cours. À ce jour, 18 personnes ont été mises en examen. Seize en janvier 2024 et deux en mai dernier. Parmi elles, environ la moitié étaient mineures au moment des faits. Si le parquet n’a pas communiqué de nouveaux éléments concernant l’avancée de la procédure, les mis en cause sont notamment poursuivis, chacun en fonction de son rôle joué cette nuit-là, pour tentative d’assassinat, violence aggravée, destruction d’un bien par un moyen dangereux, transport et détention de produit incendiaire ou explosif. Depuis les faits, 865 jours se sont écoulés et le dossier est passé entre les mains de trois juges d’instruction. Le dernier passage de relais date de septembre dernier. Il a été confié à une nouvelle et jeune figure du tribunal correctionnel de Metz. «Son prédécesseur a eu ce dossier pendant un an», confie l’avocat(e) d’un mis en cause. «Une période durant laquelle la procédure n’a pas beaucoup avancé… Du retard a été pris et quelque chose me dit que cette affaire n’est pas près d’être jugée !»