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Après la période de télétravail « illimitée » : «Les frontaliers pourront télétravailler un jour par semaine»


Belval, l'une des gares à la frontière. Plus besoin de laisser sa voiture au P+R quand on peut télétravailler! (Photo : archives lq/Isabella Finzi)

Un flou certain entoure le télétravail des frontaliers, après la période «illimitée» qui prendra fin le 31 août. Séverine Bergé, une fiscaliste spécialisée sur le transfrontalier, nous explique avec simplicité pourquoi le «un jour par semaine» sera possible.

Les frontaliers veulent télétravailler plus à la rentrée. Mais ils ont peur d’être renvoyés aux plafonds de 29, 24 ou 19 jours, selon qu’ils vivent en France, en Belgique ou en Allemagne. Comment une pro de la fiscalité voit la situation?

Séverine Bergé : Chez Neofisc, nous sommes spécialisés en fiscalité France – Luxembourg pour les personnes physiques. C’est donc sur le cas des frontaliers français que je vais m’attarder (NDLR : les plus nombreux, avec 106 000 actifs au Luxembourg, soit presque un quart de la main-d’œuvre du pays). Ce que je veux dire d’emblée : oui, ils pourront télétravailler un jour par semaine après la crise. Et oui, il n’y a pas à s’inquiéter d’une complexité des démarches! Je m’étonne sincèrement de tout ce flou qui entoure un procédé au fond assez simple. Je vais même aller plus loin : une très grande majorité des frontaliers y gagneraient sur le plan fiscal en étant imposés en France sur le revenu dépassant le seuil de 29 jours.

Comment? Expliquez-nous.

Revenons à la base, même rapidement. Il y a deux aspects distincts : l’aspect fiscal et l’aspect social.

D’un point de vue fiscal, pour un frontalier français, c’est le seuil de 29 jours qui s’applique. « Si je suis en télétravail, le salaire versé au-delà du 29e jour sera exonéré d’impôt au Luxembourg et imposé en France. Je reste affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise. »

D’un point de vue social, c’est le temps passé en télétravail que l’on va considérer. « Si je passe plus de 25 % de mon temps de travail en France, je perds le rattachement à la sécurité sociale luxembourgeoise au profit de la France. » La totalité des cotisations à la fois employeur/employé devront être acquittées en France. Rien n’interdit de dépasser ni le seuil fiscal ni le seuil social. Rien. Il y a en revanche des conséquences, et ce sont celles-là qu’il faut mesurer.

Quelles conséquences, si je dépasse le seuil social?

Cela correspond, pour faire simple, à dépasser 50 jours de télétravail par an. Des conséquences très fortes adviennent, pour le salarié comme pour son entreprise : le salarié perd ses allocations familiales luxembourgeoises, ainsi que sa retraite luxembourgeoise. Il sera rattaché au système social français entièrement. Surtout, son entreprise devra verser toutes les cotisations sociales concernant ce salarié du côté français. On passe presque du simple au double, c’est assez rédhibitoire.

Mais alors, comment télétravailler un jour par semaine tranquillement?

Il faut se situer en dessous de 25 % de son temps de travail, soit moins de 50 jours de télétravail par an pour un temps plein. Donc un jour par semaine, c’est possible. En effet, le seuil fiscal n’est absolument pas un frein.

Concrètement, comment ça se passe?

Votre entreprise va décompter tous les jours télétravaillés depuis la France au-delà de 29 jours et va exonérer d’impôt luxembourgeois le salaire inhérent. Cette rémunération apparaîtra sur le certificat annuel de rémunération que tous les salariés connaissent en « exemption » avec un libellé tel que « salaire exonéré ». Cette case existe déjà : regardez votre certificat, vous y verrez par exemple les exemptions pour les heures supplémentaires, travail de nuit, dimanches et jours fériés. Donc il n’y a rien de compliqué.

Et je fais quoi avec cette somme?

Il suffira de la reporter sur votre déclaration d’impôt française comme s’il s’agissait d’un revenu français et non d’un revenu exonéré, ce qui est le cas du revenu luxembourgeois. Pour rappel, la déclaration en France est obligatoire pour tous les résidents et les frontaliers sont tenus de déclarer leurs revenus mondiaux. L’administration fiscale française, tenant compte de votre situation familiale, de vos crédits d’impôt éventuels et autres abattements, calculera l’impôt à payer sur ce salaire.

Mais je n’aurais pas été prélevé à la source au Luxembourg, c’est ça?

Bien entendu, il n’y a pas de double imposition. C’est soit d’un côté, soit de l’autre.

Pour 80 % des frontaliers, l’impôt sur le revenu serait plus faible en France !

Mais avec ce que je déclare du côté français, y a-t-il un risque de payer des impôts sur le revenu plus fort?

Globalement non. On ne va pas entrer ici dans les détails, mais pour 80 % des frontaliers, voire plus, l’impôt sur le revenu serait plus faible en France qu’au Luxembourg.

Pourtant la France n’est-elle pas un « enfer fiscal », comme on l’entend souvent? 

En matière d’impôt sur le revenu, le barème français ainsi qu’un ensemble de mécanismes permettant d’obtenir des réductions fiscales, rendent au final, l’impôt sur le revenu plus faible qu’au Luxembourg. En effet, le barème luxembourgeois est plus élevé dans la plupart des cas et les possibilités de réduction/optimisation ou de crédit d’impôt sont moindres.

D’accord. Mais pourtant, le barème d’imposition sur les personnes est moins progressif au Luxembourg, non? Je veux dire, l’impôt sur le revenu démarre sur des tranches de salaire plus faibles en France.

En effet, les barèmes et la progressivité diffèrent entre les deux pays. S’il est vrai qu’au Luxembourg, on commence à payer de l’impôt sur un revenu globalement plus élevé qu’en France, il existe en France des abattements et autres réductions qui réduisent l’impôt. Par exemple, la France applique automatiquement un abattement de 10 % sur le net fiscal pour les frais professionnels et le salarié peut même déduire ses frais réels s’ils sont supérieurs à 10 %. Au Luxembourg, cet abattement est plafonné à 2 574 euros. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu. Mais je vous assure que pour 80 % des cas et peut-être même plus, le frontalier y gagnerait en étant imposé en France sur le salaire au-delà du 29e jour. Ce ne serait pas des gros gains, on ne parle jamais que de l’impôt sur le revenu correspondant à un, maximum deux mois de salaire. Mais ça ne doit surtout pas freiner les aspirations au télétravail en tout cas! Un jour de télétravail par semaine, c’est précieux.

Peut-on réaliser ces démarches sans le recours à un fiscaliste?

Bien entendu, j’ai décrit le procédé plus haut. En revanche, le recours à un fiscaliste permet de faire les bons choix afin de réduire son imposition du côté français comme du côté luxembourgeois. Chaque situation est unique. La démarche de base n’a rien de sorcier, mais on a toujours intérêt à affiner chaque dossier, d’une façon globale, en dehors même de la thématique du télétravail. Certains emprunts que vous avez, votre situation familiale, vos évolutions de carrière… les paramètres qui influent sur la fiscalité sont nombreux.

Et pour les entreprises? Tout dépend d’elles… les petites peuvent être perdues. 

Franchement j’en doute. Les logiciels comptables sont adaptés et conçus pour gérer cette situation et il suffit de tenir un planning des jours de télétravail pour chaque salarié. Notre partenaire, Maison du Luxembourg située à Thionville reçoit beaucoup d’appels de frontaliers au sujet du télétravail. Ils sont demandeurs, mais ont certaines craintes. Il faut les lever en expliquant bien les conséquences. Nous tenons des permanences fiscales gratuitement dans leurs locaux pour informer, renseigner et conseiller.

Dans la pratique, c’est au salarié et à son employeur d’être vigilants : il faut trouver un accord afin de ne pas dépasser le seuil de 25 % du temps de travail en France, c’est tout.

Entretien avec Hubert Gamelon

Télétravail : quels gains et risques pour le Luxembourg?

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(Photo : archives lq)

Le télétravail bouscule de nombreux équilibres. Les conséquences ne portent pas que sur la vie du salarié et de son entreprise. Tour d’horizon des impacts du développement du télétravail frontalier au Grand-Duché.

  • Une question d’attractivité : dans la course aux talents, de nombreuses entreprises luxembourgeoises ont intérêt à proposer un télétravail fluidifié aux frontaliers. Ces derniers, rappelons-le, représentent 46 % de la main-d’œuvre du pays. Dans certains secteurs clés, comme la finance, le chiffre est plus fort encore. Des grandes métropoles européennes vont vivre un coup de boost considérable sur le télétravail. La ville de Luxembourg serait bien inspirée de ne pas prendre un train de retard sur le sujet, et de surmonter au mieux la dimension fiscale et frontalière pour y arriver.
  • Une question de fiscalité : le Luxembourg perd des impôts sur le revenu à chaque fois qu’un frontalier ira déclarer un reliquat d’impôt ailleurs. Il perd également de la TVA et un certain dynamisme commercial quand les frontaliers ne peuvent pas consommer sur place (resto à midi, etc.). Mais à hauteur d’un jour par semaine, ce dernier paramètre compte beaucoup moins que le vide laissé par les frontaliers en trois mois de confinement.
  • Une question sociétale : le télétravail est un outil majeur pour mener de front une vie familiale et une carrière professionnelle épanouie. À plus forte raison quand il s’agit d’un parent seul, qui est souvent une femme. Lors d’une enquête menée en novembre par Le Quotidien, une frontalière confiait qu’elle n’avait plus la boule au ventre à cause des bouchons et l’impératif d’aller chercher ses enfants le soir, grâce au télétravail.
  • Une question écologique : faire trois heures de voiture pour allumer un ordinateur au Luxembourg revêt peu de sens d’un point de vue écologique. C’est pourtant la réalité que vivent bon nombre de cols blancs frontaliers.
  • Une question sociale : le télétravail sonne-t-il comme le début de l’ubérisation du salarié seul face à son écran, sans loi ni syndicat derrière lui? La vision est caricaturale. Mais les dangers sont là. Si l’entreprise ne fait plus corps, le salarié individualisé peut être à la merci d’un émiettement de ses droits.

Un commentaire

  1. Intéressant le côté social et ses 25% que j’ignorais.
    Dans l’absolu c’est même plus de 50 jours vu qu’on peut retrancher 7 des 52 semaines annuelles.
    On les obtient (même un peu plus) avec les 5 semaines et 1 jour de congés et les 11 jours fériés.
    Et un quart de ces 45 semaines ça fait 56 jours et des poussières.

    Même le côté fiscal, 29 jours sur les 45 semaines ça fait déjà les deux tiers, faire 15 jours de plus ne semble pas spécialement risqué… quelqu’un qui fait 1 jour par semaine va réellement le déclarer?
    il suffit probablement de ne pas le crier sur les réseaux sociaux, et plus on habite proche de la frontière plus ça risque d’être compliqué à vérifier, quelqu’un qui est à 5 minutes du Luxembourg ils feraient comment?
    Le plus gros risque pourrait être Linky, mais vu la consommation ridiculement basse des PC portables actuels et d’autres équipements que tout un chacun a chez lui allumé régulièrement genre NAS ou autre, pas sur que ça soit très visible ni simple à prouver.

    Quand à parler de fraude alors que 80% des personnes y feraient même quelques économies…
    PS: ce n’est pas mon cas je ne télétravaillais jamais avant.