Jusqu’au bout, Anne Grommerch, maire de Thionville, aura lutté contre ce mal qui la rongeait depuis des années. Un combat personnel qui ne l’a pas empêché de mener une carrière politique d’une rare densité, comme le relate l’un de nos confrères du Républicain lorrain.
C’était un de ces coups de fil qui vous glacent le sang. Il y a quelques semaines, Anne Grommerch nous avait appelés pour nous informer de son état de santé. « Je vais être absente de Thionville pendant encore quelques jours, avait-elle annoncé , émue mais très digne à l’autre bout de la ligne. Je préférerais que cela reste entre nous pour le moment. »
Nous avions respecté son désir de discrétion car, jusqu’à cet appel, jamais elle n’avait invoqué sa maladie pour exiger la moindre complaisance. Quelques jours plus tard, elle était de retour, très affaiblie certes, mais elle tenait solidement les commandes de la Ville et de l’Agglomération, assumant des orientations importantes. Elle aura défié la maladie jusqu’au bout, avec une incroyable force.
Sous le charme d’une battante
Cette force, c’est d’ailleurs ce qui a déstabilisé tous ceux qui, au moment de son entrée en politique, ne voyaient en Anne Grommerch qu’une simple erreur de casting. Nous sommes en 2007. Au moment des élections législatives, Jean-Marie Demange, alors député-maire de Thionville, décide de faire d’une inconnue, Anne Grommerch, cadre commerciale chez Coca-Cola au Luxembourg, sa suppléante.
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« J’ai hésité à accepter , nous avait-elle confié en 2014. Mais Jean-Marie Demange m’a dit » Ne t’inquiète pas, tu ne seras jamais députée car je ne suis ni malade ni ministrable. « » Un an et demi plus tard, Jean-Marie Demange met fin à ses jours dans les circonstances que l’on connaît.
Lorsqu’elle fait son entrée à l’Assemblée nationale, fin 2008, Anne Grommerch se bat déjà contre la maladie. Mais elle gagne cette manche et, par la même occasion, le respect de tous ceux qui la croisent. Très vite, la classe politique voit en elle bien plus qu’une simple députée de substitution. Elle tombe sous le charme de cette femme d’exception, capable de mener plusieurs combats de front.
Mais la véritable légitimité d’Anne Grommerch, c’est le suffrage universel qui la lui offre deux ans plus tard. En pleine vague rose, alors que ce foutu cancer la pourchasse encore, elle est triomphalement réélue députée face au maire socialiste de Thionville, Bertrand Mertz. En 2014, elle reprend à ce dernier la mairie de Thionville au terme d’une campagne électrique. L’annulation de ce scrutin aurait pu l’affaiblir. La nouvelle élection, qui lui permet de s’imposer beaucoup plus largement la renforce, au contraire.
« Action-réaction »
Il faut dire qu’en quelques mois, Thionville s’était laissé séduire par le style Grommerch. « Je viens du privé, je n’ai pas la même façon de fonctionner que les autres élus », aimait-elle répéter. Cette différence, c’était d’abord cette incroyable capacité à trouver des solutions simples à des problèmes simples.
Quand d’autres élus sont formatés pour réfléchir à l’horizon d’un mandat, elle pouvait, tout en travaillant sur le long terme, apporter une réponse immédiate à chaque problème. « Action-réaction » : c’était sa devise. Les fonctionnaires de la mairie n’oublieront pas de sitôt cette patronne qui se promenait en ville avec son portable à la main, prenant en photo chaque pavé cassé, chaque ampoule grillée. Il lui suffisait d’un SMS pour régler le souci.
Un style qui faisait du bruit
Le style Grommerch commençait à faire du bruit jusqu’à Paris. François Fillon, Bruno Le Maire ou même Nicolas Sarkozy, toujours prêts à poser à ses côtés, lui voyaient certainement un destin national. « Je leur ai déjà dit « oubliez-moi », je ne veux pas être ministre » , répétait-elle à qui voulait l’entendre. Les salons parisiens, ce n’était pas son truc. Elle s’apprêtait d’ailleurs à renoncer à son fauteuil de député en 2017 sans le moindre regret. Elle prenait beaucoup plus de plaisir dans le job de maire.
Elle s’impliquait dans tous les dossiers pour façonner sa ville, pour la faire vivre, pour la transformer. Et aimait surtout mettre toute l’énergie que la maladie lui laissait à aider les autres. « Elle aimait les gens » , résume Pierre Cuny, son premier adjoint. Et si on devait ne retenir qu’une réalisation de ses deux ans de mandat à la tête de la Ville, elle aurait certainement aimé que l’on évoque la création de la Maison de l’emploi, qui a déjà sorti des dizaines de Thionvillois du chômage. « C’est mon combat prioritaire » , disait-elle souvent.
Elle en avait beaucoup d’autres. Mais en seulement deux ans à la mairie, Anne Grommerch n’aura pas eu le temps d’ériger des cathédrales, de bâtir des ponts ou de déplacer des montagnes ( « De toute façon, on n’a pas d’argent » , aurait-elle souri). Mais ce courage, cette force, ce cœur, laisseront une trace bien plus durable dans l’histoire de Thionville.