Même si beaucoup ont avoué s’y attendre, l’annonce de la fin de l’usine Akers à Thionville a fait mal. Entre amertume et colère, les 176 employés qui se retrouvent sur le carreau avaient mercredi surtout le sentiment d’avoir été abandonnés.
La décision de la chambre commerciale du tribunal de grande instance devait tomber jeudi dans l’après-midi. Dire que celle-ci était attendue avec fébrilité par les salariés serait mentir. Avec résignation serait le terme le plus approprié. Dans ce département sinistré de la Lorraine, on sait depuis belle lurette que le « savoir-fer » local est une espèce en voie de disparition. Placée sous perfusion perpétuelle grâce à la manne providentielle d’investisseurs étrangers qui se refilent entre eux la bonne blague. Comme on pouvait s’y attendre donc, il n’y a pas eu de miracle pour l’usine Akers France de Thionville, en redressement judiciaire depuis décembre dernier. Aucune des trois propositions de reprise n’a en effet été jugée suffisamment sérieuse. Et ce sont 176 employés qui se retrouvent aujourd’hui sur le carreau.
Pour ne pas interférer dans le jugement du tribunal, la direction du site les avait invités à passer la journée entre eux, à l’usine. Une journée blanche, comme on dit. Les « gars » avaient sorti les barbecues, « schlaqué » les merguez et les saucisses, débouché quelques bouteilles de jaja, mais le cœur n’y était pas. Pour Rafik, « le cœur, justement, de cette usine s’est arrêté de battre aujourd’hui [mercredi] , à 16h45. »
C’est à cette heure que la nouvelle émanant du Palais de justice a commencé à pourrir les premiers téléphones portables. La messe est dite, circulez, y’a plus rien à voir. « On a été trahis. Trahis par les anciens directeurs, trahis par les politiques », estime encore Rafik. « Ils sont où les politiques ? », embraye Saïd, chef de poste, depuis quinze ans dans la « boîte ». « On y était préparés. Du moins, moi je m’y attendais », souffle quant à lui Manuel. Didier aussi est « persuadé que c’était planifié. » Chez les autres, un nom revient en boucle, celui du président de la République, François Hollande. Tony, depuis trente ans chez Akers : « Hollande était venu pendant la campagne des présidentielles. Il nous avait dit que tout allait bien, que nous étions les fleurons de l’industrie française. Eh bien, aujourd’hui, le fleuron, il est fermé m’sieur le président ! » Si le chef de l’État en prend pour son grade, les « locaux » ne sont pas plus épargnés. « La Grommerch, elle est bien députée, non ? Akers, c’est bien aussi à Thionville dont elle est le maire, non ? », interroge Rachid. « Elle ne s’est jamais déplacée », croit-il savoir. « Pas plus que « notre » député européen Edouard Martin », peste Saïd. « Pourtant lui, il a vécu ce qu’on vit… »
Tous attendent de savoir maintenant comment ils vont « être mangés ». Comme Rafik, et « quatre gosses à nourrir à la maison. » « On sera là ce jeudi à nos postes. On fera acte de présence, en attendant notre feuille de route », assure Erwan. « Peut-être nous demandera-t-on de finir les encours mais je n’y crois pas trop. Pour nous la dernière coulée de l’usine a eu lieu mardi à 21 h. Point final », estime Rafik.
Mais ce qui leur fait sans doute le plus mal, c’est que cette boîte, leur boîte, ils l’aimaient. Et ils en étaient même fiers. « C’est un acier de super qualité qui était produit ici », témoigne Rachid. « Quand ArcelorMittal passe des commandes de vos produits, c’est pas pour rien, hein ? C’est que vous tenez la route… », est encore prêt à s’enorgueillir Rachid. Mais déjà l’heure tourne et les braises du gueuleton de midi sont désormais bien blanches. Chacun se résigne à contrecœur à regagner ses pénates, les yeux bien embués. Et cette fois-ci, la fumée du barbecue n’y est pour rien.
Olivier Menu (Le Républicain Lorrain)