Si dans le judaïsme, depuis la nuit des temps, on attend la venue du Messie, cela tient probablement aussi à une aversion pour les solutions bidon, comme le fut (on est bien obligé de le constater ces jours-ci) la création du Comité pour la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale. Cet organe aurait très bien pu servir à générer cette «nouvelle culture mémorielle» que le Premier ministre appelait de ses vœux si certains membres du Comité n’avaient pas commodément oublié qu’il doit sa naissance essentiellement à un revirement politique qui aura permis d’ouvrir la voie à la reconnaissance du rôle actif joué par les autorités luxembourgeoises dans la persécution des juifs, que pour la première fois on a invités à prendre place Villa Pauly, à côté des deux autres «groupes de victimes» (enrôlés de force et résistants), afin, symboliquement, de les réintégrer à nouveau au sein de la communauté nationale. Symbole vite évacué au profit d’une vision grégaire (assez catholique finalement), et par conséquent exclusive, de la manière dont ce transfert allait devoir se passer : à savoir à sens unique.
Après 75 ans de déni de parole, la communauté juive pourra donc enfin écouter la souffrance des autres «groupes de victimes», pour ainsi dire en direct, en passant outre l’irrésistible attirance pour l’antisémitisme de certains résistants ou des enrôlés forcés à mitrailler des juifs en Pologne. Tout cela sur fond d’appels à l’unité ressemblant étrangement (voir forum n° 370) à une «menace»… On a confondu hôte et invité. Et malheureusement, l’éclat s’est produit…
Car si le Comité a été mis en place, c’est pour donner l’occasion à ceux qui en étaient privés jusqu’à présent d’exiger de la clarté là où il en manque. Et ainsi de construire une mémoire digne de ce nom. Car ce sont l’imprécision et l’incertitude qui font souffrir. Mais peut-être faudra-t-il pour comprendre cela qu’à l’avenir le Comité soit un peu moins goy (mot yiddish qui désigne les non-juifs, mais également une manière de se comporter irréfléchie). Oui, il n’y a pas d’autre voie : pour avancer, le Luxembourg devra devenir un peu plus juif…
Frédéric Braun