La coïncidence n’en est peut-être pas une. Les attentats de vendredi à Paris sont survenus au moment où le porte-avions Charles-de-Gaulle prenait la mer pour rejoindre les côtes orientales de la Méditerranée afin de porter le nombre d’avions français engagés contre Daech en Syrie de 12 à 36. Scénario rappelant celui de janvier : le Charles-de-Gaulle appareillait pour les côtes syriennes le jour même où les frères Kouachi décimaient la rédaction de Charlie Hebdo.
Le communiqué de revendication des attentats de vendredi, diffusé par l’État islamique, n’en fait pas mystère : il accuse Paris de frapper «les musulmans en terre du Califat avec leurs avions». Ces bombardements sont effectués avec des avions que la France vend par ailleurs à la pelle ces derniers mois. En premier lieu à l’Égypte, également acquéreuse de navires de guerre, missiles et de tout un attirail militaire français, plaçant le pays d’al-Sissi en position de force dans la bataille pour un leadership régional disputé. Un enjeu constituant l’une des clés de compréhension des conflits au Proche et Moyen-Orient.
François Hollande, qui se révèle de façon inattendue en redoutable chef de guerre, engage ses armées sur de multiples fronts, en Afrique et au Moyen-Orient. Il est directement visé par Daech qui voit en lui le maître des «croisés». Les motivations militaires, géopolitiques, voire commerciales, à l’origine de ces attentats meurtriers sont présentes en filigrane.
Il serait naïf de penser l’intervention de la France et de ses alliés dans cet «Orient compliqué» à la seule aune de la défense de la démocratie ou des droits de l’homme comme ils le proclament. Pour autant, ce jeu de dupes ne justifie en rien les abominations commises vendredi dans les rues de la capitale française, frappant, comme ailleurs dans le monde, des victimes innocentes. Et Daech serait bien mal venu de donner des leçons à quiconque, tant ses actes sont marqués du sceau de l’horreur absolue, destinés à semer la terreur et le doute dans les populations.
Les tragiques attaques perpétrées vendredi soir à Paris diffèrent de celles commises en janvier. Ces dernières visaient des cibles précises – des caricaturistes et des juifs – alors que les attentats de vendredi étaient aveugles, frappant les Parisiens dans des quartiers peu emblématiques de la capitale française. Le message est clair : personne n’est à l’abri et tout le monde est coupable. Coupable de quoi au juste ? De prôner la liberté de culte, l’égalité entre femmes et hommes, la démocratie, la liberté de vivre sa vie comme on l’entend avec pour seule limite le respect de l’autre ? Depuis deux jours, les Parisiens, par leur hommage aux victimes et en continuant à remplir les terrasses des cafés, apportent un démenti radical aux fantasmes de Daech.
Dans le même temps, il ne faut pas se voiler la face : ces attentats – et c’est l’un de leurs objectifs – sèment la division politique. Ils profitent avant tout à ceux qui, à l’image du Front national ou d’un Sarkozy, tiennent des discours tissés de haine et de mensonges. À trois semaines des élections régionales, Daech leur a peut-être fait un cadeau inespéré. Mais qu’ils ne s’y trompent pas : si le bateau coule, ils couleront avec.
Fabien Grasser (fgrasser@lequotidien.lu)