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Tarés et fiers de l’être

Si vous avez vu le film Matrix, vous vous souvenez sûrement de cette réplique : «Moi et mon frère Dozer, on est des purs, 100 % humain, élevé au grain, et notre mère nous a mis au monde ici, à l’ancienne.» Le héros du film, Neo, découvre alors qu’il reste peu d’humains «naturels», et que la majorité sont issus d’un élevage industriel…

Pure science-fiction, n’est-ce pas? Mais le grand George Orwell, qui a prédit l’avènement d’une société régie par Big Brother dans son roman 1984, nous rappelle que fiction rime parfois avec anticipation. Ainsi, il était certain que l’acte le plus fondamental qui soit, la procréation, n’échapperait pas aux bistouris de la médecine moderne, qui a les moyens d’atteindre l’infiniment petit : l’ADN.

Cet été, des scientifiques américains ont annoncé qu’ils avaient réussi à éliminer un gène pathogène du génome d’embryons humains. La technique dite de «chirurgie du gène» employée par les chercheurs permet de remplacer des fragments d’ADN qui composent les gènes d’êtres vivants. En l’occurrence, ils ont réussi à réparer une mutation d’un gène responsable d’une hypertrophie du cœur qui aurait probablement entraîné une mort précoce de l’enfant.

On imagine la joie – légitime – des futurs parents qui espèrent ainsi pouvoir corriger une «tare» génétique. Mais la nouvelle relance un débat éthique qui dépasse ces innombrables cas personnels. Faut-il modifier ainsi notre patrimoine héréditaire, sachant que cela changerait le court d’une lignée humaine? Certaines de ces «tares» n’ont-elles justement pas un rôle à jouer? Beethoven serait-il devenu Beethoven sans sa surdité?

La question, terriblement épineuse, est peut-être déjà superflue, tant l’histoire est marquée par cette constance : tout progrès humain est inévitablement voué à être exploité pour le meilleur comme pour le pire. Pensez au feu, à la poudre, au nucléaire, mais aussi aux drones, à l’impression 3D ou à Pokémon Go… Tout, on vous dit! Il est pratiquement certain qu’un jour, naîtrons des «bébés OGM» avec tous les risques que ça comporte : eugénisme radical, pouponnières à enfants soldats, épuration raciale… Et ce jour-là, même Isaac Asimov se retournera dans sa tombe.

Romain Van Dyck