Des enseignants qui font leurs classes avec du baby-sitting. Des ingénieurs expédiés dans le monde déréglé des livreurs. Des immigrés pour la plupart diplômés et pourtant exclus d’un marché professionnel en souffrance. On connaissait la fuite des cerveaux, pour appauvrir les nations, le temps de cerveau disponible, pour abrutir les peuples. Voici le «brain waste», pour gaspiller les compétences d’une main-d’œuvre qualifiée.
Que de talents gâchés. Au nom de choix politiques qui provoquent une réaction épidermique et d’une discrimination à l’embauche qui colle à ces peaux pas assez claires. C’est ce qu’il ressort d’une enquête menée par le collectif Lighthouse Reports, avec les quotidiens El País et Financial Times. Afin de mesurer l’ampleur du phénomène, leur investigation s’est appuyée sur une étude de l’Union européenne relative aux «forces de travail», non publique. Sans doute parce que les résultats accablent les États membres. Les données collectées comprennent également le Royaume-Uni, la Suisse, l’Islande et la Norvège. Mais pas l’Allemagne, qui a refusé de participer au sondage. Rien d’étonnant de la part d’un pays dont les retraités, par exemple, sont contraints de reprendre un, voire deux boulots pour espérer s’en sortir. Quant à la France, le constat est, semble-t-il, si édifiant qu’il fera l’objet d’une publication distincte.
Ainsi, explique la synthèse des journalistes, les étrangers courent deux fois plus de risque de se retrouver au chômage sur leur terre «d’accueil». Si toutefois ils y ont droit. Seul le Portugal apparaît comme un élève modèle en matière d’intégration.
Cet état des lieux du gaspillage de neurones au sein de l’UE, un manque à gagner chiffré à plus de 33 milliards d’euros, témoigne de la précarisation toujours plus grande de nos sociétés ultralibérales. Il faut remplir les cases d’un plein-emploi trompeur, qu’importe la misère cachée derrière. Au prix de l’investissement sans compter de ceux qui ont trimé tout ou partie de leur vie pour se construire une carrière. La prime au mérite n’existe plus, les contrats sont vendus aux moins offrants. Voilà pourquoi des enseignants finissent par garder des gamins et des ingénieurs par transporter des colis.
Alexandra Parachini