L’histoire de Nirvana s’est écrite il y a 30 ans. Voire un peu plus si l’on admet que la fusée Nevermind doit son décollage vers des cieux sans fin à une chanson et son clip, qui, en 2009, dépassait le milliard de vues sur YouTube : Smells Like Teen Spirit. Pour mieux saisir son impact, il faut ressortir son walkman et repartir en 1991. À cette époque, rappelons-le, internet n’existait pas, seuls les radios et les magazines spécialisés donnaient la tendance. La télévision, elle, évitait de se frotter à cette musique «alternative», car pas assez porteuse. En dehors, bien sûr, de MTV, médium phare qui depuis dix ans impose la vidéo comme étape obligée pour un succès d’ampleur.
C’est sur les ondes que les premiers frémissements d’un tsunami s’annoncent. Le morceau, qui s’était taillé une place à part, dès la fin de l’été, sur les «college radios» américaines, se propage à la vitesse grand V. L’Europe attend et guette la moindre apparition, qui va finalement exploser le tube cathodique quinze jours avant la sortie de Nevermind. Le clip tourne alors en boucle sur la chaîne musicale et le monde du rock est sur les fesses. Sur le petit écran, on découvre un gringalet à la tignasse blonde décolorée, hésitant entre nonchalance et colère, face à des étudiants dans le même état que lui et derrière des pom-pom girls aux robes noires, frappées d’un A pour anarchie, couleur sang.
Toutes les images de cette chanson d’introduction (qui fait référence au slogan d’un déodorant pour adolescents) synthétisent bien l’état d’esprit de Kurt Cobain, qui s’affirmera dans le temps : une certaine instabilité psychologique, balançant entre apathie, rébellion et tendance à l’autodestruction. D’ailleurs, pris dans une transe, il casse vraiment sa guitare – sans effet de manche – pendant l’enregistrement du clip. À ce propos, Kim Deal, ex-bassiste iconique de Sonic Youth, rappelle dans son autobiographie (Girl in a Band) que le leader de Nirvana était toujours comme «au bord d’une énorme implosion».
Musicalement, la claque est aussi conséquente, même si Nirvana n’invente rien et emprunte ici la formule chère à Pixies, un autre groupe culte, mais lui de Boston : à savoir quatre accords, une grosse batterie, des mélodies bien senties et une dynamique qui oscille entre couplet calme et refrain hurlé, tout en saturation. L’effet secoue, et même l’agent d’entretien, dans le clip, fait valser son balai près des vestiaires! Tout cela devait s’achever dans un pogo final cathartique, une dernière phrase et un mot qui annonce la secousse à venir : «I’m worse at what I do best (…) Oh weel, whatever, nevermind» (Je suis le pire dans ce que je fais de mieux / Bon, après tout, laisse tomber).
Grégory Cimatti