Comme 200 000 Anglais, Karen Lawton vit avec ce qu’elle appelle «un dragon» en elle. Forte fatigue, irruption cutanée, migraine… Depuis trois ans, l’hépatite C pourrit la vie de cette jeune femme habitant au nord de Londres. Un médicament pourrait stopper la progression du virus : le sofosbuvir. Mais Karen n’a pas les 50 000 euros nécessaires pour ce traitement miracle. Et comme le système de santé anglais limite la prise en charge du traitement aux patients les plus gravement atteints, elle est contrainte d’attendre d’avoir une cirrhose ou un cancer du foie.
Mais Karen a préféré agir plutôt qu’attendre la mort. Et c’est tout sourire qu’elle présente un carton rempli de médicaments. Depuis un mois, elle revit. «Ils sont arrivés d’Inde. Ce sont des médicaments génériques, je les ai achetés sur internet pour un peu plus de 1 000 livres», explique la malade. Plus pour longtemps : «Le virus est en train de mourir, à toute vitesse.»
Ce reportage, diffusé sur France 24, remonte à juin 2016. Un an après, la firme pharmaceutique Gilead fait toujours payer au prix fort son médicament miracle, y compris au Luxembourg. Elle aurait tort de se priver : l’Europe n’a toujours pas mis les pieds dans le plat. L’Office européen des brevets protège toujours celui du sofosbuvir, malgré le prix délirant des comprimés (qui coûtent moins d’un euro à produire), l’origine en partie publique des recherches liées à ce médicament, et la résistance de pays comme l’Inde qui ont forcé Gilead à autoriser les substituts génériques.
Il serait en effet trop facile de jeter la pierre à cette seule firme. Ce scandale expose sous une lumière crue l’échec des pouvoirs publics, qui n’ont pas su, ou voulu, défendre l’intérêt général face aux intérêts d’une firme privée. Où est le bon sens économique quand la généralisation des médicaments génériques permettrait d’éradiquer cette maladie coûteuse en vies et en fonds publics?
Alors, comme trop souvent, la résistance vient d’en bas, comme des ONG qui tentent actuellement de casser le brevet du sofosbuvir. Ou de simples particuliers comme Karen, qui risquent leur vie (car acheter un médicament sur internet reste périlleux) pour la sauver.
Romain Van Dyck