Je vous ai entendu hier matin, à la radio publique. Votre voix d’abord, de philosophe qui livre ses réflexions sous la devise sarcastique «mieux vaut écrire l’histoire les témoins d’époque une fois morts». Le contexte, celui de l’enrôlement forcé durant la dernière guerre, et une anecdote, celle de la Luxembourgeoise refusant l’aide d’un «boche» pour gonfler le pneu de son vélo, dénoncée par les siens et torturée par l’occupant sous le prétexte d’avoir fréquenté un garçon juif. Tout cela suivi d’une réflexion sur le «mensonge» et la tendance à écrire l’histoire avec le droit pénal plutôt qu’avec l’aide d’historiens.
Puis la phrase : «Concernant le sort du peuple élu durant les années 40, les faits ont été et sont souvent établis par voie pénale.» Pardon? Mensonge, peuple élu, faits établis par voie pénale? Qu’est-ce que cela veut-il bien dire? Les juifs seraient-ils en train de falsifier l’histoire, notre histoire, celle de Papa et Maman? Quand on dit qu’Athènes a eu raison de condamner à mort l’énervant Socrate, cela ne dérange personne, dites-vous : les sources prouveraient le contraire. Certes, certes… «Pourquoi le discours sur l’Holocauste est strictement contrôlé? Afin d’empêcher qu’une chose pareille se reproduise.» En effet, mais vous ne semblez pas convaincu… Plus on interdit, et plus cet interdit susciterait de réactions, dites-vous. Freud et Wittgenstein l’auraient su, et on vous félicite de citer deux penseurs juifs en renfort.
Mais enfin, où voulez-vous en venir? De quel interdit parlez-vous? «On limite la liberté de râler et de déconner». Ah, ah… «Où commence la xénophobie, où s’arrête-t-elle?» Vous devriez le savoir : vous êtes philosophe. Mais puisque vous avez un doute, permettez-moi de vous éclairer : la définition de la xénophobie, du racisme, de la misogynie, de l’homophobie ou de l’antisémitisme, revient à ceux qui les subissent. Et ce sont eux qui délimitent votre liberté de râler, de déconner. Quant aux lois, elles existent pour que les gens «ouverts à toute opinion bien intentionnée et correctement formulée» que vous méprisez tant, puissent vivre en paix, sans avoir à se justifier de ce droit.
Frédéric Braun (fbraun@lequotidien.lu)