Se faire livrer des colis à domicile, en 30 minutes chrono, grâce à des drones d’Amazon? «Pour ma part, j’aurais préféré par tapis volant. Je trouve ça plus poétique.» Celui qui se marre est Jean-Baptiste Malet, l’auteur en 2013 de la première enquête en immersion chez le géant de l’e-commerce. Il y décrit un système impitoyable qui nous replonge à l’époque des Temps modernes de Charlie Chaplin.
Bref, un vrai empêcheur de rêver en rond qui, il y a trois ans, ne partageait pas du tout l’enthousiasme des médias lorsque Amazon claironnait que ses drones viendraient toquer à notre porte à l’horizon 2017.
Aujourd’hui, si Amazon continue de tester ses facteurs volants, la presse se montre moins enjouée. Car, hélas, les drones ne savent toujours pas éviter Médor qui défend son territoire, prendre l’ascenseur et sonner au 4e étage, décourager les vols et répondre à une flopée de contraintes légales, sécuritaires et éthiques.
Bref, il est temps d’admettre que beaucoup ont été victimes ou complices d’une belle opération marketing. En langage plus cru, on appelle ça se faire buzzer : relayer une pub déguisée en info.
La ficelle est grosse, mais les médias se prennent souvent les pieds dedans, avec l’excuse de vouloir susciter le débat. On se souvient par exemple du buzz provoqué par Ryanair quand la compagnie a annoncé qu’elle ferait voyager les gens debout. Là est leur stratégie : que nous débattions du pour et du contre de ces écrans de fumée, qui masquent l’autre réalité, celle qui fait beaucoup moins rêver.
Vendredi dernier, des employés sont venus rappeler leur réalité au siège européen d’Amazon, à Luxembourg.
Ils ont parlé de leur salaire de 1 260 euros net pour courir 15 à 30 km par jour dans les entrepôts. Ils ont expliqué comment ils étaient fliqués chaque seconde, et menacés en cas de perte de productivité. Ils ont parlé des taux très élevés d’arrêts maladie, parce que beaucoup n’en peuvent plus d’être «dégradés au rang de machines».
Il faudra pourtant qu’ils s’y fassent. Car pour les nouveaux visionnaires comme Amazon, les temps modernes demandent surtout de faire machine arrière…
Romain Van Dyck (Rvandyck@lequotidien.lu)