Une artiste ne devrait pas dire ça. C’est l’idée générale qui se dégageait des réactions du gouvernement français à la suite du discours, samedi, de Justine Triet, Palme d’or du festival de Cannes pour son Anatomie d’une chute. On lui reproche d’avoir pointé du doigt la «façon choquante» dont le sommet de l’État a «nié» la «protestation historique extrêmement puissante et unanime de la réforme des retraites»; pire encore, de dénoncer la «marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend». Si l’on a des comptes à régler avec Macron et consorts, il est préférable de le faire en gardant intacte l’hypocrisie politique du microcosme cannois, histoire de faire bonne figure devant Quentin Tarantino.
Pour Rima Abdul Malak, ministre française de la Culture, son discours était «ingrat et injuste». Sans surprise. Le gouvernement français a l’art et la manière de dénigrer quiconque ose commenter ses grandes manœuvres; d’un côté, on balaye d’un revers de la main avec condescendance, de l’autre, on continue à mettre en œuvre la réforme activement contestée depuis cinq mois, comme si de rien n’était. Et à Justine Triet, on lance de façon à peine voilée : «Sois subventionnée et tais-toi.»
Dans la croyance générale, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) subventionne les films à travers les impôts; le financement du cinéma français avec l’argent public se fait en réalité grâce à des taxes indirectes, prélevées en premier lieu sur le prix du billet de cinéma. La ministre peut donc bien râler sur ce qu’elle comprend de travers, elle qui est, en revanche, bien rémunérée avec l’argent du contribuable. Lorsque Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes (qui a en partie financé Anatomie d’une chute), supprime la subvention de 149 000 euros au Centre dramatique national de Lyon ou réduit de plus de moitié l’apport de la région au festival de Clermont-Ferrand, premier rendez-vous mondial du court métrage, la ministre de la Culture reste silencieuse…
Cela ne fait que confirmer la fermeté de ce «schéma de pouvoir dominateur décomplexé» (toute l’importance de la formule réside dans ce dernier mot) fustigé par Justine Triet. En quelques phrases, la troisième réalisatrice palmée de l’histoire a prouvé (malgré elle) que tous les coups sont permis, pourvu qu’on ait le pouvoir. Pour une poignée de minutes, le système était à son avantage : on lui offre une tribune, elle torpille. Donnez-lui le napalm d’or.