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Du mérite, vraiment ?

«Si aujourd’hui je demande à la nation d’accepter la rigueur, cela ne sera possible que si nous sommes capables de demander plus à celui qui a plus, et moins à celui qui possède si peu.» Le président François Mitterrand, en 1982.

Raphaël, Sabrina, Stéphanie et Laura ne sont alors que des bambins issus de familles de la classe (très) moyenne.

1995. Nos 4 jeunes Français ont 13 ans et sont en échec scolaire. Comment voyez-vous l’avenir, leur demande un enseignant ? Les réponses fusent : avoir un boulot ! Une famille ! Qu’on soit riche, rigolent-ils. Sabrina, elle, veut être «une vraie pâtissière», qui cuisine pendant que le mari est à la caisse. Sa mère, caissière, l’encourage. Son père, technicien chez Peugeot, la trouve très gentille mais «un peu bébête» et lui reproche de ne pas viser une «école normale», car «le travail manuel ne débouche sur rien».

2010. La vie active et la vie d’adulte, le décès d’une mère, la naissance d’un enfant, la maladie, les histoires d’amour, les petits boulots et les grands espoirs déçus… La vie leur a fait peu de cadeaux. Quant à Sabrina, elle s’est entichée d’un boulanger… et se retrouve à la caisse. Pendant ce temps, un petit président martèle : «Travailler plus pour gagner plus.» L’ex de Raphaël se crève 7 jours sur 7 pour presque 1 100 euros.

Francis Mer, alors ministre de l’Économie, ânonne à la télé : «En très grande majorité, ceux qui gagnent beaucoup d’argent, c’est qu’ils le méritent !»

Raphaël, Sabrina, Stéphanie et Laura ont-ils réussi dans la vie ? À chacun de se faire une idée. Ont-ils eu du mérite ? Certainement. Tout comme Vincent Maillard, le réalisateur de ce documentaire (visible en rediffusion sur France2) intitulé Ceux qui possèdent si peu. Fruit de 15 ans de tournage, il dresse un portrait cru de cette génération précaire avec, en toile de fond, ce discours de la haute société, certaine que si elle en est arrivée là, c’est parce qu’«elle le mérite»…

Pourtant, parmi ceux qui réussissent, il y a ceux qui méritent… et beaucoup qui héritent. D’un milieu social favorable, de bons profs, de parents aimants… Parfois, la réussite se joue à un sourire, à un «tu peux le faire». Pitié, arrêtons de galvauder constamment le mérite. Ce mot mérite mieux.

Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)