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Marché perdant

En demandant un gel temporaire des négociations d’adhésion avec la Turquie, le Parlement européen s’est montré, jeudi, plus audacieux que la cheffe de la diplomatie européenne ou les dirigeants des États membres de l’UE. «Les mesures répressives prises dans le cadre de l’état d’urgence sont disproportionnées, attentent aux droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Constitution turque, portent atteinte aux valeurs démocratiques fondamentales de l’Union européenne», dit le texte adopté à Strasbourg à une large majorité (479 voix pour, 37 contre et 107 abstentions). La résolution a été votée par les conservateurs, les socialistes, les libéraux et les verts, principaux groupes politiques de l’assemblée. Leurs griefs visent avant tout le président Erdogan.

Depuis le coup d’État manqué du 15 juillet, le leader islamiste a lancé une vaste purge, excluant ou emprisonnant des dizaines de milliers de personnes, sous les prétextes spécieux de complicité avec le putsch ou d’activités terroristes. Opposants démocrates, militants des droits de l’homme, enseignants, journalistes, fonctionnaires, militaires, policiers… les autorités poursuivent et écartent les «gêneurs» se dressant sur le chemin d’un pouvoir que le président turc veut le plus absolu possible.

Le vote des députés européens est un avertissement. Mais Ankara l’a qualifié de «nul et non avenu» dès hier. Erdogan sait aussi qu’il est purement consultatif et que les chefs d’État ou de gouvernement européens ne suivront pas les députés. D’aucuns jugent que la démocratie mérite la poursuite du dialogue. La peur des Européens, et la raison profonde de leur retenue, est cependant de voir Erdogan revenir sur ses promesses de maintenir sur son sol des millions de réfugiés syriens et irakiens en contrepartie de milliards d’euros promis par l’UE.

Les Européens ont les mains liées, réduits à contempler la dérive autocratique du pouvoir turc. En marchandant des êtres humains avec Ankara, l’UE a cru se débarrasser à bon compte du problème des réfugiés. Au moment où la Turquie opère un opportuniste rapprochement avec Poutine et s’érige en puissance régionale incontournable, ce nauséabond marché de dupes se révèle de plus en plus perdant pour l’Europe.

Fabien Grasser