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L’ours russe sur sa faim

Il a eu les yeux plus gros que le ventre, à vouloir engloutir toute l’Ukraine et n’en faire qu’une bouchée. Un morceau bien trop gros même pour ses mâchoires carnassières, acérées pour déchiqueter d’épaisses tranches de l’ancien empire soviétique. Comme cette langue de terre arrachée il y a trente ans à la Moldavie par des troupes séparatistes, la Transnistrie, où des hostilités ont d’ailleurs été déclenchées ces derniers jours. L’ours russe reste sur sa faim après deux mois d’une offensive acharnée, au goût amer et pourtant copieusement indigeste. Qui écœure jusqu’à la nausée. L’animal a certes perdu patience, mais pas son appétit toujours vorace.

C’est juste que le temps presse, aujourd’hui. Vladimir Poutine, comptable d’une boucherie qui lui coûte plus qu’elle ne rapporte, a besoin de trouver quelque chose à mettre sous la dent de son peuple le 9 mai, au moment de célébrer la grande victoire patriotique sur le régime nazi. Le vrai, pas celui qu’il prétend vouloir déloger de Kiev. Pour faire bombance en ce jour de fête, il lui faut débusquer une couleuvre, aussi maigre soit-elle, à faire avaler à ces familles qui s’interrogent sur la funeste destinée de leurs jeunes soldats envoyés au casse-pipe et de leurs marins envoyés par le fond avec le Moskva. Ce sera peut-être Kharkiv, dont il affame les habitants enserrés et pris au piège. L’insatiable chasseur de Sibérie continuera de traquer sa proie jusqu’à ce qu’elle finisse par abandonner sa tanière de fortune, de guerre lasse. Quitte à la tirer comme un lapin pris dans les phares d’un char moscovite. Elle ne se laissera toutefois pas dompter si facilement. La preuve dans le grand port de Marioupol. La martyre à l’agonie plie chaque jour davantage sous les assauts de la bête, mais refuse obstinément de rendre l’âme. Et l’affaire n’est pas plus mince dans ce Donbass que les crocs pro-russes mordent depuis déjà huit ans.

Il en bave au moins autant qu’il en salive. Ne vendons malgré tout pas la peau de l’ours mal léché trop vite. Il n’a pas encore donné son dernier coup de griffe ni fait montre de toute sa sauvagerie. Avec la rage dans les tripes de voir sa pitance lui passer constamment sous le museau.

Alexandra Parachini