De plus en plus de gens arrivent au Luxembourg pour vivre et pour travailler et de plus en plus de Luxembourgeois sont obligés de quitter le pays – quand leur situation le leur permet – pour trouver un logement décent à un prix abordable là où il y en a encore (pour combien de temps ?). À près de 550 000 euros le studio de 33 m2 à Gasperich ou à 900 000 euros la petite maison mitoyenne à rénover dans le bassin minier, on marche sur la tête. Les sommes sont vertigineuses – converties en anciens francs luxembourgeois ou pas – et font peur. Combien de temps faut-il travailler à deux pour les réunir quand on n’est pas fonctionnaire en fin de carrière, directeur, investisseur ou expatrié ? Combien de sacrifices faut-il faire et combien de compromis faut-il accepter pour pouvoir avoir son chez-soi ?
Il y a encore quelques années, j’entendais les gens dire : «Tu as de la chance, tu es propriétaire.» Oui, quand j’aurai remboursé mon prêt sur 30 ans à une banque qui ne me rapporte plus rien. «La valeur de ton bien ne fait qu’augmenter.» Celle des autres aussi ! Et si je décidais de vendre, je ne saurais pas quoi racheter. Échange trois pièces atypique contre studio sur plan à Gasperich ! J’irais sans doute grossir les rangs des frontaliers ou des nouveaux Nordistes dans les transports en commun ou sur les routes. Et pourtant, ça construit. Beaucoup. Mais pas assez. On déloge les renards dans les champs et les lièvres de leurs terriers pour loger une population qui ne cesse de croître et se comprend de moins en moins malgré les injonctions au vivre ensemble et à la cohésion sociale.
Où allons-nous ? De plus en plus de gens – classe moyenne, ou ce qu’il en reste, incluse – se posent la question. Certains choisiraient de rester à l’étranger après leurs études, car ils y bénéficieraient d’une vie plus douce que celle espérée au Grand-Duché ou que celle qu’ont encore connue leurs parents. Cette douce vie dans ce charmant petit pays verdoyant qui a attiré beaucoup de monde et qui risque de se transformer en enfer si la juste mesure de la situation n’est pas prise. Le Luxembourgeois ne veut pas seulement rester ce qu’il est, il veut aussi pouvoir rester chez lui.
Sophie Kieffer