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L’île de la concentration

C’est une idée suffisamment dingue pour qu’elle séduise : construire un pays pour les réfugiés. Car il n’aura échappé à personne que depuis la crise migratoire, le Vieux Continent, fébrile et sénile, ne sait plus quoi inventer pour canaliser cette vague sans précédent, oubliant souvent au passage ses valeurs fondamentales.

Fermer les frontières ? Cela ne marche pas, les réfugiés multiplient les risques pour les contourner. Les quotas ? Trop de pays membres font soudainement preuve d’une désunion européenne. Créer des camps de réfugiés ? Sans le dévouement des bénévoles, beaucoup de ces «jungles» auraient déjà implosé.

Mais Theo Deutinger a une idée qu’aucun dirigeant n’a encore osé proposer : leur construire une île artificielle.

Cet architecte néerlandais a baptisé son projet EIA (Europa in Africa). Cette «première ville véritablement européenne» pourrait naître sur une bande étroite de fond marin, coincée entre les zones économiques exclusives de la Tunisie et de l’Italie. L’UE, imagine-t-il, pourrait louer ce territoire aux deux pays pour 99 ans, qui deviendrait une ville-État dotée de sa propre Constitution, de son économie et d’un système social, tout en restant soumise aux règles européennes.

Boat people, réfugiés économiques, demandeurs d’asile… Tout le monde serait accepté, grâce à des navettes reliées aux continents voisins.

Ce «visionnaire» y voit plusieurs avantages : sortir l’UE de l’impasse en créant le seul endroit sécurisé où les réfugiés seraient véritablement les bienvenus. Et pour ces derniers, leur offrir des perspectives d’emploi («à l’image des villes pionnières qui ont construit les États-Unis aux XVIIIe et XIXe siècles»), d’avenir (un passeport européen sera attribué aux réfugiés après cinq ans de bons et loyaux services), sans oublier un climat plus chaleureux que dans nos contrées nordiques.

Deutinger se dit conscient des fragilités de ce projet, qu’il souhaite approfondir avec des chercheurs. Et on le comprend : pas sûr qu’une île perdue entre l’«enfer» et la «terre promise», où la concentration de détresse humaine atteindrait les 100%, soit le symbole dont l’UE ait actuellement besoin.

Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)